MM. Mulcair et Trudeau s'affrontent pour savoir qui accueillerait le plus de réfugiés syriens, mais cette guerre de la générosité occulte un problème plus pressant. Certes, le Canada a les moyens et le devoir d'ouvrir davantage ses portes. Mais avant de hausser la cible actuelle, il faudrait se donner les moyens de l'atteindre.

Le Canada échoue en effet déjà à remplir ses modestes objectifs. Avant même qu'une photo transforme une crise humanitaire en enjeu électoral, des demandeurs se plaignaient de la lenteur du traitement. Par exemple, Québec prévoyait recevoir cette année environ 250 Syriens par parrainage. Il n'en a reçu que huit. Pour les autres, on attend encore le feu vert d'Ottawa.

Pourquoi ce blocage ? Le système d'immigration est hyper complexe, mais deux facteurs semblent l'expliquer : le manque de ressources et les nouvelles politiques.

L'été dernier, La Presse Canadienne révélait que pour réduire ses dépenses, Ottawa a demandé à ses ambassades de reporter les demandes non critiques de réfugiés. La commande excluait les Syriens, mais elle révèle que le manque d'argent engorge le système. Les réfugiés qui n'ont pas la « chance » de subir un conflit médiatisé en souffrent particulièrement, mais ils ne sont peut-être pas les seuls.

L'orientation politique a aussi changé. Bien sûr, on ne peut accuser le gouvernement Harper d'être anti-immigration.

Au contraire, le Canada accueillera cette année environ 280 000 nouveaux arrivants, le plus grand nombre depuis plusieurs décennies.

Mais le visage de cette immigration a changé. Dans les années 90, les libéraux ont réduit le nombre de réfugiés et augmenté le nombre d'immigrants sélectionnés pour leur potentiel économique. Les conservateurs n'ont fait que poursuivre ce virage. Le Canada accueille maintenant deux fois moins de réfugiés. De plus, il a réduit le ratio de réfugiés parrainés par l'État. Cette catégorie est désormais moins nombreuse que celle des réfugiés parrainés par des citoyens canadiens, qui assument leurs dépenses à la première année au pays. Ces demandes sont toutefois plus lourdes à traiter, car le groupe de parrains doit prouver qu'il est en mesure d'assumer cette responsabilité qui incombait auparavant à l'État.

Ces réformes sont plus efficaces pour notre économie, mais on en constate aujourd'hui les conséquences humanitaires.

Où tracer la ligne? Là réside le véritable débat.

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Le gouvernement Harper a avancé hier qu'au nom de la sécurité, on ne peut accélérer le traitement des demandes. Il faut prendre le temps d'effectuer les vérifications nécessaires, insiste son ministre de l'Immigration, Chris Alexander.

En théorie, M. Alexander a raison, d'autant plus que la région abrite bel et bien des djihadistes. Ajoutons que si un réfugié commettait un attentat, les conservateurs seraient rapidement critiqués... Mais en pratique, il semble possible d'agir rapidement sans compromettre la sécurité nationale. C'est du moins ce que croit notamment l'Allemagne, elle aussi sujette à des attaques, qui accélère néanmoins le traitement des demandes.

Mais il est vrai que l'Allemagne, elle, n'est pas en campagne électorale.

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