Dans un monde idéal, Denis Lebel serait assez lucide pour ne pas se croire lui-même.

Tout indique que le gouvernement Harper déclenchera la campagne électorale la plus longue de l'histoire moderne du pays. Une campagne de 11 semaines, près de trois fois plus qu'à l'habitude. Ce serait bénéfique pour les Canadiens, a soutenu M. Lebel, le lieutenant conservateur pour le Québec. Il aurait dû être plus précis. Ce serait surtout bénéfique pour une catégorie particulière de Canadiens : les candidats de son parti.

La durée minimale d'une campagne est de 37 jours. Or, M. Harper a trouvé une ruse. En vertu de la nouvelle loi, plus la campagne est longue, plus la limite de dépenses augmente. Et les conservateurs disposent d'une cagnotte supérieure à celle de tous leurs adversaires réunis.

Si la campagne ne dure que 37 jours, chaque parti devrait réussir à dépenser autant que la limite permise. Mais pas si la campagne dure deux fois plus longtemps. Voilà le véritable objectif des conservateurs : dépenser plus que leurs rivaux en publicités et autres matraquages partisans.

Quelqu'un a toutefois été oublié dans cette histoire : le contribuable. Car la manoeuvre coûtera cher. Élections Canada devra engager des employés et réserver des locaux durant une plus longue période. En outre, l'État rembourse aux partis la moitié de leurs dépenses électorales, et plus la campagne est longue, plus les dépenses augmentent. Le coût additionnel devrait se chiffrer en dizaines de millions.

Certes, M. Harper n'est pas le premier politicien à déclencher des élections hâtives pour surprendre ses adversaires. Jean Chrétien et Jean Charest maîtrisaient aussi cet art. Mais il y a deux circonstances aggravantes dans son cas. Il le fait tout en prolongeant la campagne, ce qui gaspille des fonds publics. Et il le fait après avoir adopté en 2007 une loi sur les élections à date fixe, qui visait pourtant à empêcher qu'un premier ministre modifie le calendrier pour des raisons partisanes.

Il faudra songer à plafonner la durée des campagnes électorales, comme c'est déjà le cas au Québec et au Royaume-Uni.

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Difficile toutefois d'en prévoir les conséquences. Une campagne longue augmente le risque de surprises et l'argent ne garantit pas la victoire, comme le prouve le nouveau gouvernement néo-démocrate en Alberta.

Était-ce nécessaire, comme le prétend M. Lebel, de dissoudre la 41e législature pour mieux débattre ? Si c'était le cas, venant du gouvernement spécialiste des bâillons et projets de loi mammouths, il s'agirait d'une conversion tardive aux vertus de la délibération. Mais il en est rien. D'abord, parce que les candidats sont déjà sur le terrain en précampagne. Et ensuite, parce qu'une campagne n'est pas exactement un exercice de rationalité collective, où le peuple est séquestré comme un jury pour examiner les plateformes des partis, en attendant que la vérité jaillisse.

À tort ou à raison, l'exercice sert beaucoup à choisir un leader. Peut-être que M. Harper espère qu'un marathon exposera les faiblesses de ses rivaux moins expérimentés. Mais pour l'instant, il a surtout montré son incurable défaut. Celui de manipuler les règles à son avantage.

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