À la messe de minuit ce soir, plusieurs Québécois baragouineront le Notre Père en se souvenant seulement qu'ils l'ont oublié. Et ils risquent d'être plus nombreux que jamais à bouder l'église pour communier en famille, au pied d'un sapin et de ses cadeaux. Pourtant, une vaste majorité se réclame encore du catholicisme.

Ce paradoxe est confirmé par les plus récentes données de Statistique Canada, colligées par la sociologue Sarah Wilkins-Laflamme*. Elles permettent de mieux comprendre la catho-laïcité, sincère, mais contradictoire, défendue encore par certains Québécois.

Après la Colombie-Britannique, c'est au Québec qu'on trouve le moins de Canadiens qui croient en Dieu, vont à l'église ou prient. Dans ces trois catégories, le recul est graduel et constant depuis les années 70. Même quand on élargit la question pour mesurer à la fois la prière et la méditation, 39% des Québécois disent ne jamais se recueillir.

Par contre, dans l'ensemble du pays, c'est aussi au Québec qu'on trouve le plus de gens qui s'identifient à la religion. Seulement 12% des Québécois ne s'identifient pas à une religion. En Colombie-Britannique, la proportion s'élève à 44%, et l'immigration asiatique n'est pas en cause.

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L'érosion du religieux n'est pas un phénomène québécois ni canadien. Même aux États-Unis, la religion perd du terrain. Certes, des zélotes évangélistes américains, et parfois même canadiens, réussissent à amasser des millions pour diffuser leur message politique. Mais il ne faut pas confondre le bruit avec le nombre.

L'évolution du sentiment religieux suit la même courbe des deux côtés de la frontière. Il y a 40 ans, 4% des Canadiens et 5% des Américains ne s'identifiaient pas à une religion. La proportion a grimpé respectivement à 24% et 20%. Tous les groupes d'âge, même les 65 ans et plus, se disent aujourd'hui moins religieux que leurs parents.

Des plaques tectoniques ont bougé. La science, la démocratie et la réforme du christianisme incitent à chercher nos réponses dans le monde lui-même, plutôt que dans une force qui le transcenderait. C'est une révolution. Croire ne s'impose donc plus d'emblée. Il s'agit d'un choix, parmi d'autres. Et cette démarche se fait désormais en privé.

Pour les raisons historiques que l'on connaît, la religion catholique reste encore toutefois liée à notre identité. Le lien s'est effrité, mais n'a pas encore disparu, confirment les données de Statistique Canada. La croyance s'éteint lentement, et on n'en perçoit plus que les braises froides de l'identité.

Cela confirme l'intuition voulant que les Québécois ne sont pas forcément hypocrites quand ils réclament que le crucifix demeure au salon bleu de l'Assemblée nationale. Car pour plusieurs d'entre eux, le symbole est en effet plus identitaire que religieux. Mais ce n'est pas parce qu'une croyance est sincère qu'elle est juste.

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