Depuis le temps qu'on la voulait, personne ne souhaite son démantèlement. Or, près d'un an après son lancement, force est de constater que l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) bat dangereusement de l'aile.

Bien que le travail de la commission soit complexe, on peut contester l'efficacité de son chef d'orchestre.

Bien que son équipe traverse des tempêtes, la commissaire en chef, Marion Buller, minimise les déboires, faisant preuve d'un manque de leadership.

Hier encore, on a reporté les dates de trois audiences publiques à l'automne, alors qu'on a mis 10 mois à planifier un calendrier ! Pourtant, il y a trois semaines, Mme Buller affirmait en conférence de presse à Vancouver que l'enquête progressait à « la vitesse de l'éclair »...

S'il y a une image pour résumer les 11 premiers mois de l'Enquête, c'est plutôt celle des pas de tortue : il y a eu des délais administratifs, de la lourdeur bureaucratique, un manque de communications à l'internet et à l'externe, des problèmes d'informatique et de budget, entre autres choses qui empêchaient le personnel de bien faire leur travail.

Au point où une demi-douzaine d'employés clés (dont la directrice générale et l'un des cinq commissaires) ont déjà quitté le navire.

L'ex-juge de la Cour provinciale de Colombie-Britannique avance qu'il y a des mésententes dans toutes bonnes familles. Elle fait même de l'ironie : la semaine dernière, en entrevue au National Post, Mme Buller a dit qu'elle n'aurait jamais cru que « l'achat d'une déchiqueteuse ferait la manchette au pays » !

Sauf votre respect votre honneur, la crise va bien au-delà du matériel de bureau.

LE PROFIL DE L'EMPLOI

Reconnue pour « sa compassion, sa sagesse et sa capacité d'écoute », la commissaire en chef semble moins douée comme chef et gestionnaire d'équipe. Tout le monde est unanime pour saluer l'ensemble de son oeuvre, ses connaissances et ses capacités intellectuelles. Pas un mot, par contre, sur son leadership actuel, son plan de travail, sa feuille de route et ses objectifs à court terme avec l'ENFFADA.

Pour enquêter, il faut d'abord savoir ce que l'on cherche ; ensuite, où chercher. Le mandat de l'Enquête nationale est trop vaste. Autant dans le territoire qu'elle couvre (633 communautés, 10 provinces, trois territoires) que dans son approche.

Les membres se basent sur les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation, en 2015, en élargissant encore le terrain à explorer.

L'ENFFADA espère se pencher sur « la discrimination sous toutes ses formes, y compris le racisme et la misogynie, qui sont le résultat de la violence continue vécue par vos filles, vos soeurs, vos mères, vos tantes, vos grand-mères hétérosexuelles, lesbiennes, bisexuelles, transgenres, allosexuelles, bispirituelles, etc. Tout en mettant en perspective l'histoire coloniale du Canada et « l'intersectionnalité du racisme et du sexisme », comme facteurs augmentant la vulnérabilité des femmes et des filles autochtones. Beau programme !

INQUIÉTUDE LÉGITIME

Il y a donc lieu de s'inquiéter de l'avenir de l'Enquête nationale. Et se demander si, au bout de son mandat, en décembre 2018 (Mme Buller a déjà fait savoir qu'elle allait demander au gouvernement fédéral plus de temps et plus d'argent), les commissaires arriveront avec des éléments nouveaux pour enrayer la violence faite aux femmes autochtones, afin de rendre justice aux victimes et à leurs proches.

Il serait dommage, voire déplorable, que le rapport des commissaires aboutisse sur une tablette. Car il ne s'agirait pas uniquement de l'échec d'une enquête cruciale pour le pays et ses communautés autochtones. Ce serait un rendez-vous raté avec l'Histoire.

En chiffres...

L'Enquête nationale et indépendante sur les femmes et les filles autochtones disparues s'est ouverte le 1er septembre 2016. Elle est dotée d'un budget de 53,8 millions de dollars.

Les jeunes femmes autochtones sont cinq fois plus susceptibles que les autres Canadiennes du même âge de mourir à la suite d'un acte de violence. Entre 1997 et 2000, le taux d'homicide chez les femmes autochtones était presque sept fois plus élevé que celui des femmes non autochtones.

On estime le nombre de victimes à environ 4000 femmes.

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