L'entente que le gouvernement a conclue avec Omar Khadr aurait pu difficilement faire plus de bruit.

Le bien-fondé des excuses du gouvernement à l'enfant-soldat qui a passé 10 ans à Guantánamo, la somme qui lui a été versée et ce qu'il devrait en faire sont au coeur d'une bataille partisane entre libéraux et conservateurs qui rejaillit jusque dans les médias américains.

Mais étrangement, un aspect crucial de l'entente est passé sous silence.

En ayant conclu à l'amiable une entente confidentielle, le gouvernement lave à grand coup d'argent des contribuables la saleté que plusieurs de ses représentants ont sur les mains. Et ce, pour la cinquième fois en 10 ans (voir encadré).

À chaque reprise, que ce soit dans le cas d'Omar Khadr, de Maher Arar ou encore d'Abdullah Almalki, le gouvernement a admis son rôle dans les violations des droits de ses ressortissants, a délié les cordons de la bourse et évité la tenue de procès.

Du coup, les représentants de l'État canadien ayant pris part à ces violations ou les ayant ordonnées - politiciens, agents secrets ou responsables de la Gendarmerie royale - n'ont pas à témoigner en public. Ils ne subissent pas de représailles professionnelles et ne sont pas embêtés par la justice ou la police. Les contribuables payent la note pendant qu'ils continuent leur bonhomme de chemin.

Le contraire d'une punition

Pire, plusieurs d'entre eux ont carrément eu droit à des promotions. Un des cas les plus éloquents est celui de Mike Cabana. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce dernier a dirigé une vaste opération antiterroriste baptisée A-Ô Canada. C'est dans ce cadre que la Gendarmerie royale du Canada a partagé de l'information avec plusieurs gouvernements étrangers, une indiscrétion qui a mené quatre citoyens canadiens directement vers le cachot de prisons syrienne et égyptienne où ils ont été torturés, battus, humiliés... puis relâchés.

Interrogé devant la commission Arar sur cette pratique peu orthodoxe d'échange d'information avec des pays voyous en matière de droits de la personne, Mike Cabana avait persisté et signé.

«Aussi dégoûtant que cela puisse vous paraître, pour protéger le public canadien, nous devons faire affaire avec des pays qui n'ont pas le même bilan que le Canada en matière de droits de la personne et qui ne traitent pas les prisonniers comme nous le faisons», avait-il dit en anglais.

Lorsque le juge responsable de la commission Arar a conclu que ce partage d'information était une grave violation du droit et a ordonné au gouvernement de verser une compensation à l'individu lésé, Mike Cabana s'en est sorti sans égratignure. Il a même continué à gravir les échelons de la GRC, dont il est aujourd'hui sous-commissaire, un des postes les plus élevés de la police fédérale.

Pas trop tôt, pas trop tard

Dans le cas Khadr, l'histoire se répète. À ce jour, personne n'a subi de représailles pour l'interrogatoire que des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont fait subir au jeune ressortissant canadien à la base militaire de Guantánamo en 2003. Ou pour l'envoi subséquent d'information aux États-Unis. 

Interrogé à ce sujet la semaine dernière, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, est resté évasif, disant que les faits remontent à plus d'une décennie. Certains individus qui ont participé aux interrogatoires, a-t-il ajouté, ne sont plus de ce monde. Le ministre affirme que le gouvernement a depuis revu ses politiques et surveille de plus près les services de renseignement.

Ces nouveaux mécanismes porteront-ils leurs fruits et permettront-ils d'empêcher que des agents canadiens bafouent à nouveau les droits de leurs concitoyens  ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Cependant, il n'est pas trop tard pour que le gouvernement répète haut et fort que tout accroc aux droits fondamentaux de ses citoyens est inacceptable et oblige les fautifs d'antan à faire face à leurs responsabilités.

Si le gouvernement se prive de cet effet dissuasif, il y a fort à parier que les contribuables canadiens signeront à nouveau des chèques pour exonérer leur gouvernement.

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CINQ ENTENTES CONFIDENTIELLES :



Maher Arar

Maher Arar a été arrêté aux États-Unis en 2002, puis envoyé en Syrie où il a été torturé. Une commission d'enquête a établi que le Canada avait joué un rôle dans cette affaire en transmettant des informations inexactes au gouvernement américain.

Résultat : en 2007, le gouvernement Harper a offert des excuses et versé 10,5 millions  de dollars à Maher Arar, ainsi que 1 million  à ses avocats. Le reste de l'entente est confidentiel.

Abdullah Almalki, Ahmad Elmaati et Muayyed Nurredin

Les trois citoyens canadiens ont été arrêtés, incarcérés et vraisemblablement torturés en Syrie et en Égypte sur la base d'informations fournies par le Canada à ces gouvernements étrangers.

Résultat : en mars, le gouvernement Trudeau a conclu des ententes à l'amiable avec les trois hommes et a offert des excuses. Les sommes versées en compensation ne sont pas connues. Une commission, présidée par le juge Franck Iacobucci, avait recommandé au gouvernement d'agir de la sorte en 2008.

Omar Khadr

La Cour suprême du Canada a tranché que le gouvernement canadien a violé les droits de son jeune citoyen, détenu à Guantanamo de 2002 à 2012, en participant à des interrogatoires après que M. Khadr ait subi de mauvais traitements et en partageant les informations obtenues avec les Américains.

Résultat : À la suite d'une entente à l'amiable, le gouvernement Trudeau a présenté des excuses à M. Khadr la semaine dernière et lui a versé un montant estimé à 10,5 millions $. L'entente est confidentielle.

PC

Maher Arar

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