Pendant qu'on débat du sort de Trans Mountain, qu'on analyse le plus récent jugement de la Cour fédérale et qu'on critique la volonté de Justin Trudeau de construire un oléoduc tout en promettant une réduction des gaz à effet de serre, on oublie ce qui se cache derrière.

Obnubilés par l'« hypocrisie » du premier ministre sur le climat, on oublie en effet qu'un peu partout au Canada, une armée d'élus a juré, au provincial comme au fédéral, qu'elle ferait tout pour... empêcher ce même premier ministre de faire quoi que ce soit relativement au climat.

Qu'ils soient à la Chambre des communes, en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta ou ailleurs, les conservateurs sont actuellement à pied d'oeuvre pour s'assurer de faire dérailler le plan des libéraux, qu'ils réduisent à « un plan pour des taxes et des impôts plus élevés ». Et ils travaillent avec acharnement pour mobiliser la population contre sa mesure phare, la taxe sur le carbone.

Peu importe s'il y a un large consensus sur l'efficacité d'une tarification sur les émissions polluantes. Peu importe la hausse des températures qu'on a connue cet été. Peu importe l'appel généralisé pour affronter le « plus grand défi de l'histoire de l'humanité », comme l'ont écrit hier 200 personnalités dans Le Monde.

Peu importe le contexte, bref, les conservateurs ont décidé que LA priorité était non pas la lutte contre les changements climatiques, mais la lutte... contre la taxe carbone.

C'est ainsi qu'aux quatre coins du pays, les Andrew Scheer, Doug Ford, Scott Moe ou Jason Kenney profitent de chaque tribune, chaque manifestation, chaque élection pour dénoncer la mesure qui a le plus de potentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Encore ces derniers jours, le chef conservateur du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, a affirmé qu'il en ferait la question centrale de la campagne électorale en cours. Et tenez-vous-le pour dit, c'est précisément ce que fera Andrew Scheer l'année prochaine sur la scène fédérale.

En répétant à tout bout de champ que Trudeau est un hypocrite, on oublie que son rival conservateur, premier dans les sondages, est un dinosaure.

On oublie ses contradictions, son opposition à l'accord de Paris, son refus d'imposer un moratoire sur le charbon. On oublie le flirt de son parti avec le climatonégationnisme, son absence de plan, son bilan catastrophique en la matière.

Or comme le précise la lettre du Monde, « un gouvernement qui ne ferait pas du sauvetage de ce qui peut encore l'être son objectif premier ne saurait être pris au sérieux ».

Donc, oui, on peut critiquer avec raison Justin Trudeau pour ses difficultés à implanter son plan sur le climat. Oui, on peut lui reprocher de l'avoir lié au sort d'un pipeline. Oui, on peut déplorer qu'il ait été aussi peu rigoureux dans le traitement du dossier Trans Mountain.

Mais rappelons-nous que l'une des principales raisons pour lesquelles le premier ministre veut élargir ce pipeline dans l'Ouest, c'est pour implanter en parallèle une tarification nationale sur le carbone qui en annulera les GES et encore plus. Autrement dit, cet oléoduc était une monnaie d'échange offerte à ceux qui n'en ont que pour l'énergie, sans pensée pour l'écologie. C'était un compromis servant à convaincre les provinces pétrolières d'en faire plus pour le climat, pas moins. Et c'était, surtout, une façon d'embarquer la province la plus pollueuse du pays (l'Alberta), sans qui les efforts des provinces les plus volontaires (dont le Québec) sont carrément inutiles.

Bien sûr, la stratégie de Justin Trudeau était éminemment risquée, comme le confirment le jugement de la cour fédérale ainsi que le sort maintenant très incertain de Trans Mountain. On pourrait même dire, a posteriori, qu'elle était trop risquée, et qu'elle mérite aujourd'hui les critiques qui lui sont faites.

Mais ne perdons pas de vue que l'intention était d'embarquer les plus récalcitrants. Ceux-là mêmes qui continuent de lutter... contre la lutte climatique.

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