C'est fou tout ce qui se cache derrière le projet Trans Mountain !

Une guerre commerciale entre deux provinces.

Une crise constitutionnelle en devenir.

Un clou de plus dans le cercueil du plan climat fédéral.

Et peut-être plus grave encore, on retrouve derrière l'oléoduc controversé de l'Ouest... une remise en question de tout ce que représente Justin Trudeau et, surtout, de tout ce qu'il dit représenter depuis qu'il s'est lancé en politique.

Quand on y pense, c'est ce qu'il y a de plus étonnant avec cette crise multiple. Qu'un oléoduc sème la discorde en 2018, cela va de soi. Mais qu'il incite un premier ministre à faire exactement le contraire de ce qu'il prêche en forçant rapidement le projet dans la gorge d'une province qui n'en veut pas, voilà qui est troublant.

Rappelez-vous le candidat Justin Trudeau. Rappelez-vous les promesses de dialogue, de collaboration et de partenariat. Rappelez-vous son intention de travailler avec les provinces dans un esprit de consultation, de cogestion et de coordination.

À l'époque, Trudeau incarnait l'unité après les années Harper. Ou du moins, c'est ce qu'il voulait qu'on retienne, comme en fait foi le titre de son autobiographie : Terrain d'entente.

Il y faisait l'apologie du Parti libéral qui, depuis Wilfrid Laurier, « s'affaire à trouver un terrain d'entente » entre les différentes composantes du pays. Et il se présentait comme un digne successeur, prêt à tout pour « trouver le juste équilibre » et « faire des compromis » dans le but d'unir les provinces.

Or dans le dossier Trans Mountain, Justin Trudeau fait tout l'inverse. C'est vrai, il a pris le temps de s'asseoir avec les premiers ministres de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Mais après avoir consacré un gros deux heures à leur différend, il en est venu à la conclusion qu'il n'y avait déjà plus rien à faire.

Puis il a confirmé ce qui était déjà clair avant la rencontre en prenant fait et cause pour l'Alberta. Comme si son rôle était celui de juge, non pas d'arbitre ou de médiateur.

« L'oléoduc va être construit. Ce projet est dans l'intérêt national. »

Point.

Pourtant, le candidat aux élections de 2015 n'avait rien d'un chef autoritaire. Il laissait à son père l'attitude du « just watch me » pour présenter un visage beaucoup plus conciliant, proche de l'« esprit fédéral », pour reprendre ses mots.

En campagne, il promettait « un dialogue continu » avec les provinces. Et il osait même aller plus loin, le soir de sa victoire, en s'engageant à faire de la collaboration avec les provinces « le principe premier de ses actions »...

Un principe dont on cherche la trace aujourd'hui dans le dossier Trans Mountain.

Comprenons-nous bien. Que le premier ministre soit pour un projet pétrolier, cela se conçoit. Ses discours ont toujours été empreints de cette volonté de concilier économie et environnement. Et son plan climat était un pari audacieux qui aurait très bien pu fonctionner : permettre la construction d'un oléoduc en échange de l'imposition d'une taxe carbone à la grandeur du pays, en incluant l'Alberta, sans qui les efforts des provinces plus volontaires seraient de toute façon inutiles.

Mais forcer la construction d'un oléoduc sans avoir d'abord tout fait pour recueillir l'assentiment des provinces traversées ? Vraiment ? Cela va certainement à l'encontre du « fédéralisme coopératif » que Justin Trudeau faisait miroiter, pour reprendre l'expression du professeur Guy Laforest.

Il est bien sûr fort possible que Rachel Notley et John Horgan ne s'entendent jamais tant leurs positions sont éloignées dans des contextes politiques respectifs qui ne les incitent pas au compromis.

Mais on ne peut sauter immédiatement à cette conclusion sous prétexte d'un ultimatum artificiel imposé par une entreprise texane. Ou encore au nom de l'« intérêt national », un argument dangereux qui pourrait servir à toutes les sauces.

Justin Trudeau est de retour au pays après un long voyage à l'étranger. Qu'il se consacre personnellement, de manière urgente, à cette crise aux répercussions multiples avant qu'elle ne lui éclate au visage. Qu'il épuise chaque solution possible. Qu'il voie si la Colombie-Britannique peut être mieux compensée, si les garanties de sécurité peuvent être plus grandes, si la préservation de l'environnement peut être mieux assurée.

Faire preuve de leadership dans un contexte fédératif, ce n'est certainement pas d'imposer rapidement et fermement ses décisions. Surtout si cela nécessite l'adoption d'une loi qui consacre la suprématie du fédéral.

Le leadership, c'est plutôt de s'asseoir avec les provinces pour qu'elles travaillent ensemble vers un objectif commun. Bref, c'est de tout faire pour essayer, à tout le moins, de trouver un terrain d'entente.

Quelques citations que le premier ministre devrait relire...

Le principe

« Nous formerons un gouvernement intègre qui respectera les institutions et qui fera de la collaboration avec les provinces le principe premier de ses actions. »

Discours de victoire, octobre 2015

L'esprit fédéral

« Il nous faut constamment revenir à l'esprit fédéral : cette idée que nous devons travailler ensemble, dans le respect des différences, pour atteindre nos objectifs communs. Les défis auxquels nous faisons face ne peuvent être résolus uniquement à partir d'Ottawa. Ils exigent un vrai partenariat entre le gouvernement fédéral et les provinces. »

Lettre de Justin Trudeau à Philippe Couillard, août 2015

Le rôle d'arbitre

« On a eu depuis 10 ans un gouvernement qui était plutôt un cheerleader pour les projets (pétroliers), plutôt que d'être un arbitre responsable pour établir un processus clair, ouvert, rigoureux et transparent. C'est ce que nous allons faire. »

Justin Trudeau, de passage à l'hôtel de ville de Montréal, janvier 2016

Le terrain d'entente

« Au meilleur de sa forme, le Parti libéral peut constituer une force nationale constructive et unificatrice. C'est un parti qui, depuis Wilfrid Laurier, s'affaire à trouver un terrain d'entente pour des groupes dont les nombreuses différences sont trop facilement exploitées pour créer la division. »

Terrain d'entente, Justin Trudeau, éditions La Presse, 2014

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