L'Assemblée nationale a posé un geste historique avant d'ajourner ses travaux pour l'été. Et pourtant, à peu près personne n'en a parlé...

Les députés ont en effet adopté le projet de loi 113 sur l'adoption sans que celui-ci ne fasse les manchettes, même si, du coup, ils accordaient aux autochtones un droit qu'ils réclamaient depuis plus de 35 ans !

C'est la preuve que les bonnes nouvelles ne font pas les manchettes, bien sûr, mais aussi que la réconciliation avec les autochtones est en cours, loin des projecteurs. Qu'elle se fait à coup de petits gestes significatifs qui, mis bout à bout, finiront par changer les bases de la relation des gouvernements avec les Premières Nations.

Le changement dont il est ici question tient en quelques lignes dans un projet de loi modifiant le Code civil, mais il concerne un enjeu fondamental : la place qu'occupe l'enfant dans la famille, dans la communauté, dans la société. Une place qui n'est pas la même d'une culture à l'autre.

L'adoption, ainsi, n'a pas la même signification pour tous. Selon la loi québécoise, un enfant qui change de parents est adopté définitivement. Une nouvelle filiation est créée et remplace la précédente. L'enfant change de nom. Les liens avec les parents biologiques sont coupés pour toujours et les détails du dossier demeurent confidentiels.

Chez les Inuits, l'adoption présente des ressemblances avec l'adoption québécoise. Mais chez d'autres nations autochtones, ce qu'on appelle l'« adoption » ne met pas fin aux liens originaux de filiation. Il n'y a même pas de mot pour évoquer l'adoption chez les Innus, c'est dire. La famille élargie jouant un plus grand rôle, les enfants « adoptés » sont plutôt des enfants « prêtés » ou « partagés », en quelque sorte.

C'est ce qu'on appelle l'« adoption coutumière » : lorsqu'un parent est dans l'impossibilité d'assumer son rôle pour une raison ou pour une autre (santé, situation familiale, maternité trop jeune), il confie son bébé ou son enfant à des membres de sa famille, grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc. Ces derniers le prennent ainsi en charge et s'occupent de son éducation, de façon temporaire ou pour une durée indéterminée. Mais l'enfant ne coupe pas les ponts avec ses parents biologiques.

Pour ces nations, il n'y a donc pas de changement de filiation la plupart du temps, pas d'abandon, pas de modification légale. Il s'agit plutôt d'un partage de responsabilités entre membres d'une famille élargie... ce que ne prévoit pas le Code civil. L'absence de reconnaissance de cette adoption provoque toutes sortes de difficultés juridiques et administratives pour les personnes concernées, en plus de poser des défis quant à l'identité de l'enfant et l'exercice de l'autorité parentale.

Et on ne parle pas ici d'une pratique marginale : en plus d'être courante à certains endroits en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie, elle touche au Nunavik pas moins d'un enfant sur trois !

D'où la revendication des autochtones pour une reconnaissance de cette adoption coutumière. Une revendication qui date tout de même... du début des années 80 ! Les Premières Nations demandent depuis ce temps la reconnaissance des effets juridiques de cette pratique qui remonte à des temps immémoriaux et que l'État ignore, comme bien d'autres coutumes.

Voilà ce que consacre enfin le projet de loi 113 du gouvernement Couillard : il ne codifie pas l'adoption coutumière, il ne la normalise pas non plus, il la nomme et permet aux autorités autochtones compétentes d'en assurer la validation. C'est donc à la fois un geste d'autonomie et de respect des traditions.

« C'est l'aboutissement d'un processus de collaboration qui définit une norme élevée de coopération et de réconciliation entre les Premières Nations et le Québec », se réjouit le chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard.

C'est aussi un modèle pour les relations futures entre le Québec et les peuples autochtones, dont on reconnaît enfin les traditions juridiques, renchérit le professeur de droit Sébastien Grammond.

Des mots et des félicitations rarement entendus, convenons-en, qui traduisent une véritable relation de nation à nation, loin du paternalisme postcolonial habituel.

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