Disons-le, la plainte qu'a déposée Boeing contre Bombardier est hypocrite. Elle est opportuniste, frivole, insidieuse. Elle est même surréaliste.

Et pourtant, le Canada a tout à fait raison de la prendre au sérieux et d'y répondre de manière musclée comme l'a fait la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, car elle menace rien de moins que l'existence de la C Series.

En demandant à la Commission du commerce international des États-Unis (USITC) d'enquêter sur Bombardier, Boeing ne cherche pas simplement l'imposition de droits compensateurs. Pas plus qu'elle ne veut mettre fin aux aides publiques en s'adressant au département du Commerce... puisqu'elle en profite elle-même largement !

Ce que Boeing veut vraiment, c'est tirer parti du vent de protectionnisme qui souffle sur les États-Unis pour fermer les frontières à Bombardier... et ainsi, tuer la C Series dans l'oeuf.

Il n'y a qu'à lire la plainte de Boeing pour s'en convaincre. L'entreprise de Seattle s'appuie sur la vente de 75 avions à Delta pour brandir l'existence d'une menace « imminente » censée lui causer de graves et irrémédiables dommages.

Or cette affirmation ne tient pas la route.

D'abord, Boeing ne peut prétendre avoir perdu une commande puisqu'elle n'a jamais proposé d'avion à Delta lorsque cette dernière a formulé ses besoins.

Boeing ne peut se plaindre de la concurrence déloyale du CS100 puisqu'elle n'offre même pas d'avion dans le créneau des 100 à 110 places (son plus petit monocouloir offre 126 sièges).

Et Boeing ne peut craindre la perte du marché des petits avions puisqu'elle l'a abandonné il y a 10 ans lorsqu'elle a vendu son dernier monocouloir à 108 passagers (le 737-600).

Comme le résume Delta dans sa réponse à la plainte, « Boeing a monté un dossier contre une seule vente qu'elle n'a pas perdue, pour un avion qu'elle ne produit pas, dans un segment de marché qu'elle a abandonné en 2006 ».

Qu'est-ce qui motive donc Boeing ? La crainte de se faire passer un autre Airbus, affirment bon nombre d'experts qui rappellent que l'avionneur de Seattle n'avait pas pris cette concurrence étrangère au sérieux lorsqu'elle s'était pointé le nez.

La comparaison entre Airbus et Bombardier peut faire sourire, mais de l'aveu même du grand patron de Boeing, Ray Conner, l'entreprise de Montréal l'inquiète sérieusement. C'est ce qu'il a confié à ses employés l'an dernier. Il leur avait alors promis de tout faire pour empêcher que la CSeries se faufile dans le marché, incluant réduire les prix de ses plus gros avions au point de rendre les petits moins intéressants, comme il l'a fait pour United l'an dernier.

Et aujourd'hui, adoptant la posture belliqueuse du président Trump qu'elle a récemment louangé à coup de pleines pages de pub, Boeing se plaint du dumping que représentent les ventes de Bombardier à bas prix ! De l'aide publique que cette dernière reçoit ! Des ventes qu'elle réussit à faire dans un marché qu'elle n'occupe pas ! Et de la menace « imminente » que représente un avion qui sortira des hangars dans un an !

Voilà pourquoi Ottawa rompt avec son calme habituel et menace à raison d'annuler sa commande de Super Hornets chez Boeing : parce qu'il traite cela non pas comme une autre plainte commerciale, mais comme une déclaration de guerre contre Bombardier.

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