Récapitulons... D'anciens policiers prétendent que la police de Montréal lance des enquêtes sans fondement sur ses membres.

Ils allèguent qu'elle fabrique de la preuve pour faire taire les employés indésirables.

Ils soutiennent que la division des affaires internes détruit la réputation de policiers dans le but de protéger l'organisation.

Bref, ces anciens policiers prétendent que la corruption gangrène le SPVM... et le ministre de la Sécurité publique laisse le chef du service de police décider lui-même de la réponse à donner à cette grave accusation!

C'est surréaliste. Et ce l'est plus encore quand on s'attarde à ce que M. Pichet a justement décidé de faire à la suite du reportage troublant de J.E. diffusé mardi : il a téléphoné à son homologue de la Sûreté du Québec pour qu'il examine les trois histoires mettant en cause la division des affaires internes du SPVM.

Dit autrement, Philippe Pichet a demandé à la police d'enquêter sur la police qui enquête sur la police... parce qu'il y aurait de la corruption dans la police.

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Comment le ministre Martin Coiteux peut-il se dire «rassuré» par l'intervention précipitée du chef de police?

Les indices qui laissent croire qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du SPVM sont de plus en plus nombreux. Les révélations de TVA ne font qu'allonger une liste déjà longue.

Trois anciens policiers témoignent en effet à visière levée, relatant des cas de corruption et de fabrication de preuve qu'ils auraient vus ou dont ils disent avoir été victimes. Un quatrième en rajoute, anonymement. Et un cinquième, irréprochable jusqu'à preuve du contraire, l'a fait à son tour au micro de Paul Arcand, hier matin.

Ces révélations ne sont pas prouvées, bien sûr. N'empêche, elles racontent à peu près toutes la même chose : certains membres du SPVM auraient recours aux pouvoirs et aux moyens d'enquête de la police... pour neutraliser et faire taire ceux qui dérangent à l'interne.

Une accusation grave qui s'ajoute à toutes ces histoires récentes : la trahison d'Ian Davidson, l'affaire Benoît Roberge, le vol des documents du commandant Vilcéus, les fréquentations de l'enquêteur Philippe Paul, etc.

Il n'y a pas de doute que la SQ ait l'expertise et l'indépendance nécessaires pour enquêter sur le SPVM. Et il n'y a rien qui l'empêche de fouiller en particulier les trois cas révélés mardi soir, surtout si elle est épaulée par le DPCP et le Commissaire à la déontologie policière, comme l'a décidé Martin Coiteux.

Mais le problème, justement, ne se limite pas à ces trois cas douteux.

Le véritable problème, c'est l'accumulation d'une dizaine de cas préoccupants en moins de cinq ans qui montrent que le SPVM n'a pas autant besoin de quelques enquêtes ciblées que d'un ménage en profondeur.

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D'évidence, la Sûreté du Québec ne peut pas être mandatée pour passer le SPVM au peigne fin. Ce travail doit être mené par un tiers indépendant.

Certains, comme le PQ, proposent le Bureau des enquêtes indépendantes, qui pourrait en effet bénéficier d'un mandat extraordinaire. Mais soyons honnêtes, même avec toute la volonté du monde, cette nouvelle entité n'a ni les ressources ni l'expertise pour accomplir un tel travail rapidement.

D'autres suggèrent une enquête publique, comme la commission Poitras qui avait passé la SQ au rayon X à la fin des années 90. L'idée n'est pas à écarter, mais on peut se demander si le recours à l'équivalent d'une bombe nucléaire est indiqué - pour l'instant  - alors que les preuves de corruption se font encore timides.

Entre les deux, il existe une voie mitoyenne : l'enquête administrative menée par un émissaire du gouvernement auquel se grefferait une équipe d'enquêteurs chevronnés.

Cette idée, que nous proposions en novembre dernier, semble plus indiquée que jamais à la lumière des nouvelles révélations.

Le gouvernement pourrait envoyer un mandataire au quartier général de la police comme il l'a fait à la prison d'Orsainville en 2014. L'ancien sous-ministre Michel Bouchard avait alors fait rapport sur les erreurs et le laxisme qui avaient permis une évasion par hélicoptère.

Dans le cas du SPVM, l'émissaire pourrait s'attarder au professionnalisme du travail policier, notamment à la division des affaires internes. Il pourrait dresser un inventaire des enquêtes et des techniques utilisées. Il pourrait se pencher sur la rigueur des déclarations sous serment, l'utilisation des fouilles intrusives et les raisons qui poussent l'organisation à déclencher des enquêtes internes. Il pourrait aussi analyser la gestion déficiente des preuves et des sources par le SPVM, et il ferait ultimement rapport tant au gouvernement qu'au grand public.

À la lumière des révélations rendues publiques jusqu'ici, l'envoi d'un émissaire aurait le potentiel de mettre le doigt sur ce qui ne tourne pas rond au service de police et ainsi, souhaitons-le, le ramener sur le droit chemin.

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