La planète semble avoir trébuché dans sa longue marche vers un monde de plus en plus libre. Une marche entamée au siècle dernier qui devait convaincre un nombre toujours grandissant de pays de se convertir aux vertus de la démocratie libérale.

C'est d'ailleurs ce qui avait incité le politologue américain Francis Fukuyama à s'interroger sur « la fin de l'histoire » il y a 25 ans, prédisant, en guise de point final, l'adoption à grande échelle d'un même et seul régime contre lequel « il ne reste aucun rival idéologique sérieux ».

Or au contraire, la démocratie est aujourd'hui en berne...

La prestation de serment de Donald Trump en est certainement un indice. L'homme n'est pas un dictateur, entendons-nous, mais il a tout de même été élu en menaçant les contre-pouvoirs, en promettant des limites à la liberté de la presse et en vantant les mérites de la torture. Entre autres.

Et ce n'est malheureusement pas un accident de parcours propre aux États-Unis. On assiste un peu partout dans le monde à une fragilisation de l'État de droit, à un recul des libertés fondamentales et même, selon l'organisation Freedom House, à un recul du nombre de pays gouvernés démocratiquement.

Et plus déroutant encore, on assiste au déclin de l'appui des populations... aux libertés et à la démocratie !

En Occident et ailleurs, en effet, les citoyens ne se limitent pas à contester les dirigeants, l'élite et l'establishment : ils remettent aussi en question la valeur même de la démocratie comme système politique. Particulièrement les jeunes.

Une étude récemment publiée dans la revue Journal of Democracy révèle en effet une rupture générationnelle qui a pu alimenter la popularité de Donald Trump. Un phénomène déconcertant qui a aussi pu participer à l'essor des autocraties comme la Russie, des « démocratures » comme la Turquie et des « démocraties illibérales » comme la Hongrie.

S'appuyant sur des enquêtes d'opinion menées partout dans le monde, les professeurs Yascha Mounk (Harvard) et Roberto Stefan Foa (Melbourne) ont constaté avec une « profonde inquiétude » que les « milléniaux » remettent de plus en plus en question les vertus de la démocratie. Une tendance ressentie en Europe et ailleurs, mais surtout aux États-Unis.

Les chercheurs ont noté, par exemple, que 72 % des personnes nées avant la Seconde Guerre mondiale considèrent que la gouvernance démocratique est une valeur sacrée. Chez les répondants nés au tournant des années 90, ce taux chute à 30 %...

Dans la même veine, 43 % des plus âgés pensent qu'une prise du pouvoir par l'armée serait illégitime si un gouvernement s'avérait incompétent. Mais à peine 19 % des milléniaux pensent la même chose...

En fait, les résultats dans leur ensemble révèlent un « rejet de nombreuses normes et institutions clés » d'une gouvernance démocratique : élections, protection des droits et libertés civiles, recours aux institutions pour changer les choses, etc.

Ce qui prouve la gravité d'accusations comme celles qu'avait formulées Donald Trump l'an dernier, lorsqu'il avait contesté la légitimité du scrutin en évoquant l'éventuelle « élection truquée » de sa rivale.

Les jeunes croient-ils réellement moins aux bienfaits de la démocratie, ou tiennent-ils simplement leurs libertés pour acquises ?

Ont-ils baissé la garde faute d'avoir connu autre chose, ou cette tentation autoritaire se renforcera-t-elle avec le temps ? Expriment-ils leur colère seulement dans les sondages, ou souhaitent-ils réellement un changement de régime ?

Les chercheurs ne répondent pas directement à ces questions difficiles, mais ils notent qu'après des décennies de progrès démocratique sur la planète, « les signaux d'avertissement clignotent rouge ».

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