Bonne pour la santé, la réforme Barrette? Pas pour la santé du personnel, en tout cas. Le recours à l'assurance salaire a explosé dans le réseau depuis les fusions. Le prochain ministre de la Santé devra trouver le moyen de stopper l'hémorragie.

Réduire l'attente... pour être vu aux urgences, pour avoir un médecin de famille, pour consulter un spécialiste, pour passer un test d'imagerie médicale, pour se faire opérer... En cette période de campagne électorale, les partis rivalisent de promesses pour améliorer les services. Mais malgré ses allures de grosse machine, la santé n'est pas une mécanique désincarnée dont il suffit de serrer quelques boulons pour la rendre plus efficace. Ce réseau, comme tout le secteur des services, repose sur ses ressources humaines. Et celles-ci sont au plus mal, montrent les statistiques fournies à La Presse par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Le «taux d'assurance salaire», qui représente le pourcentage des heures versées en assurance salaire par rapport à l'ensemble des heures travaillées, est un indicateur phare dans le réseau. Et depuis la réforme de 2015, ce ratio ne cesse d'augmenter, c'est-à-dire de se détériorer. Au printemps dernier, il dépassait les 7,4%, contre moins de 6% avant les fusions... alors que Québec s'est plutôt donné pour objectif de le réduire légèrement pour le ramener à 5,9% d'ici avril 2020. C'est mal parti!

Résultat, l'assurance salaire a coûté 555 millions au réseau l'an dernier. Les indexations salariales ont pesé dans la balance, signale le Ministère. N'empêche, c'est 131 millions de plus qu'avant les fusions, en 2014-2015.

Non, on ne peut pas démontrer de lien de cause à effet avec le regroupement de dizaines d'établissements et la suppression de centaines de postes de cadres au printemps 2015. 

Mais force est de constater que cette réorganisation massive s'est traduite par un recours croissant à l'assurance salaire.

Seuls une poignée d'établissements, dont Sainte-Justine et Pinel, ont amélioré leurs ratios depuis la première année de la réforme, en 2015-2016.

Et toutes les catégories de personnel sont touchées. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que les pires ratios se retrouvent dans les catégories qui incluent les préposés aux bénéficiaires et les infirmières (9% et 7,54% respectivement). Mais la situation s'est particulièrement détériorée chez les cadres, avec une hausse de 33% en deux ans.

C'est à se demander si l'assurance salaire n'est pas devenue la soupape de sûreté des employés de la santé.

Le problème est connu. Le MSSS a publié un cadre de référence assorti de huit orientations, et les établissements font régulièrement état de leurs difficultés à atteindre les cibles du Ministère. Des projets-pilotes sur le personnel requis par rapport au nombre de patients ont finalement été lancés cette année. Cependant, ils se limitent aux infirmières et infirmières auxiliaires - sauf un projet qui porte sur les inhalothérapeutes.

Évidemment, il y a des limites à ce qu'un employeur peut faire. L'assurance salaire couvre les maladies et les accidents dits d'origine personnelle, ce qui inclut notamment les cancers et les chirurgies. Mais les diagnostics en santé mentale, qui étaient déjà les plus fréquents, ont augmenté depuis les fusions.

Là encore, on ne peut pas démontrer de lien de cause à effet.

Mais avec tout ce qu'on entend sur les conditions de travail dans le réseau depuis plus de trois ans, un sérieux examen de conscience s'impose.

L'assurance salaire n'est pas seulement coûteuse pour les établissements. Les employés n'étant pas toujours remplacés, leur absence pèse sur les collègues restants. C'est une spirale dangereuse, y compris pour les patients. Parlez-en aux résidants des CHSLD. Ou aux malades qui attendent un test de résonance magnétique faute de personnel pour faire fonctionner l'équipement...

La réforme a-t-elle été vraiment bénéfique pour le réseau? Il faudra plusieurs années avant de pouvoir le déterminer. Ce qui est évident pour l'instant, c'est qu'on ne semble pas s'être soucié d'en minimiser les contrecoups sur les employés. Le prochain ministre de la Santé devra s'y atteler en priorité.

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Chez Gertrude Bourdon aussi

Même l'établissement dirigé par Gertrude Bourdon, candidate du Parti libéral ardemment courtisée par la CAQ pour son expérience de gestionnaire en santé, n'a pas échappé à la tendance. Avec un taux d'assurance salaire de 6,11% au printemps dernier, le CHU de Québec-Université Laval a mieux fait que la moyenne provinciale (7,42%). Mais son ratio se dégrade depuis les fusions, et l'établissement a raté la cible que lui avait fixée le Ministère pour le dernier exercice.

Fréquence des diagnostics en santé mentale

2014-2015 : 34,6%

2016-2017 : 37,7%

Source : MSSS, dossiers actifs en assurance salaire, données partielles pour 2016-2017

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