«Est-ce que le régime public de soins dentaires est important pour le gouvernement? [...] S'il est important, est-ce qu'on devrait mettre des sous là-dedans? Je pense qu'il faudrait en trouver», a lancé le président de l'Association des chirurgiens dentistes du Québec, jeudi dernier.

«Le panier de services, c'est la prérogative du gouvernement», a répliqué le ministre Gaétan Barrette quelques heures plus tard.

L'éventail des services de santé assumés par l'État est effectivement une question de politiques publiques. Et le syndicat des dentistes, qui est en train de négocier les tarifs que ses membres pourront facturer à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), a un intérêt financier évident dans l'affaire. Il est toutefois loin d'être le seul à dénoncer les lacunes du régime actuel.

L'Ordre des dentistes et l'Association des dentistes de santé publique ont tous deux plaidé pour un élargissement de la couverture publique lors des consultations sur le panier de services, il y a deux ans. Encore récemment, un groupe de médecins et de dentistes a publié une lettre ouverte réclamant davantage de prévention du gouvernement.

Deux catégories de patients ont actuellement droit à des soins dentaires remboursés par l'assurance maladie : les enfants de moins de 10 ans et les prestataires d'une aide financière de dernier recours (programmes d'aide sociale et de solidarité sociale) avec les personnes à leur charge. Tout n'est cependant pas couvert.

Le nettoyage et l'application du fluorure, par exemple, ne sont pas inclus pour les enfants de moins de 10 ans, alors que les prestataires d'une aide financière de dernier recours, eux, n'ont pas droit aux traitements de canal.

Il est étonnant que des services relevant de la prévention ne soient pas offerts aux jeunes. L'absence de couverture pour les traitements de canal est aussi fréquemment dénoncée, car les assurés, faute de moyens, n'ont souvent d'autre choix que de faire arracher la dent atteinte. Dans un cas comme dans l'autre, on est bien loin des pratiques optimales.

Québec solidaire, on l'a vu, propose l'accès sans frais pour toute la population. Pas besoin de sortir sa calculatrice pour voir qu'une telle couverture universelle serait infiniment plus chère que le programme actuel, qui coûte environ 147 millions pour quelque 630 000 patients par an.

Sauf que les problèmes dentaires non traités ont aussi un coût.

Plusieurs problèmes de santé, dont des maladies cardiovasculaires et pulmonaires, des infections, des troubles du sommeil ainsi que des cas de dénutrition et de diabète non contrôlé ont des liens établis avec une santé buccodentaire déficiente, signale l'Ordre des dentistes. Douleur, troubles du comportement et du sommeil, retards d'apprentissage, développement physique et social perturbé; la carie a des «conséquences dévastatrices» sur les enfants, fait aussi valoir l'Association des dentistes de santé publique.

Faut-il étendre la couverture publique jusqu'à 16 ans, comme ç'a déjà été le cas? L'élargir aux travailleurs et aux retraités à très faible revenu? La question se pose.

«Est-ce qu'on peut tolérer que des gens, dans notre société si riche, souffrent des dents et des infections qui puissent entraîner les maladies plus générales ? Est-ce que cela cadre bien avec les valeurs de notre société? Je ne suis pas sûr», soulève Christophe Bedos, chercheur et professeur agrégé à la faculté de médecine dentaire de l'Université McGill.

Les problèmes de dentition constituent même un frein à l'emploi, révèle une étude qu'il a menée auprès de prestataires de l'aide sociale. Et les dentistes, eux, trouvent frustrant que le régime public ne leur permette pas d'offrir les traitements adéquats, montre une autre de ses recherches.

On s'attendrait à ce qu'un tel enjeu, à l'approche des élections, soulève les passions. Hélas, c'est loin d'être acquis.

Le Parti libéral qui, par exemple, avait promis d'étendre la couverture jusqu'à 16 ans durant la campagne de 2012, n'est pas revenu là-dessus. Serait-ce parce que la santé dentaire est avant tout considérée comme une responsabilité individuelle? Même vu sous cet angle, ça laisse à désirer.

La proportion de la population qui se brosse les dents au moins deux fois par jour ne s'est pas améliorée depuis 2008, et les 15 à 24 ans demeurent les moins portés sur l'usage quotidien de la soie dentaire, montre la dernière Enquête québécoise sur la santé de la population.

Lorsqu'on sonde les électeurs sur les enjeux prioritaires, la santé arrive toujours très haut dans la liste. Si les Québécois veulent que leur dentition en fasse partie, ils vont devoir se faire entendre.

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