Malgré les salves protectionnistes de l'administration Trump, l'économie continue à faire preuve d'une remarquable vigueur des deux côtés de la frontière canado-américaine. Profitons-en, mais ne nous y trompons pas. L'escalade actuelle pourrait avoir des conséquences désastreuses, en particulier si les États-Unis mettent leur menace de tarifs douaniers sur l'automobile à exécution.

Exportations et investissements meilleurs qu'on s'y attendait, marché du travail dynamique, promesse fédérale de déployer jusqu'à 2 milliards pour soutenir les entreprises et travailleurs touchés par les tarifs sur l'aluminium et l'acier... Ces signaux sont tellement positifs qu'ils ont résonné plus fort que les mesures et menaces des derniers mois, et convaincu la Banque du Canada d'augmenter son taux directeur la semaine dernière. Mieux encore, la Banque prévoit que les exportations et les investissements des entreprises continueront d'augmenter, et laisse la porte ouverte à d'autres hausses de taux.

Les États-Unis, on le sait, ont aussi le vent dans les voiles. Les entreprises exportent, investissent, embauchent, et les réductions d'impôt accordées aux sociétés donnent un élan supplémentaire.

Bref, si ce n'était d'un certain nombre d'entreprises qui, ici comme chez nos voisins du Sud, ont faire savoir combien ces tarifs leur font perdre temps et argent, les obligent à mettre à pied des employés ou à déménager leur production, tout cela semblerait un peu abstrait. Ça ne l'est pas pour les travailleurs et les employeurs concernés ni pour les élus qui essaient de trouver des façons de limiter les dégâts et de prévenir de nouvelles frappes. Malheureusement, ni les démonstrations, ni les chiffres, ni les appels à l'aide ne semblent pouvoir trouver d'écho à la Maison-Blanche.

Agriculteurs, grandes sociétés, chambres de commerce, associations, élus : on a depuis longtemps perdu le compte de tous ceux qui sont sortis sur la place publique pour tenter de faire entendre raison à l'administration Trump.

Le Comité des voies et moyens de la Chambre des représentants tiendra d'ailleurs une audience ce mercredi sur la façon dont ces tarifs et les mesures de rétorsion qu'ils attirent affectent les agriculteurs et les communautés rurales. Il faudra voir si un membre de l'administration s'y présentera «pour expliquer cette approche fantasque», comme l'ont réclamé les démocrates.

En attendant, le président continue à jongler avec ses tarifs douaniers comme avec autant de grenades, sans se rendre compte qu'ils risquent de lui sauter à la figure et de faire des dommages considérables aux alentours.

C'est ainsi que Washington a publié la semaine dernière une nouvelle bordée de tarifs contre les importations chinoises, en réponse aux représailles annoncées par Pékin le vendredi précédent. La liste n'est pas près d'entrer en vigueur puisqu'elle fait l'objet d'une période de commentaires, mais Pékin a répliqué du tac au tac en promettant «des mesures fermes et puissantes».

Sans oublier le secteur automobile, dont l'analyse est attendue au plus tard le mois prochain, avant les élections de mi-mandat. Tout le monde s'entend : la perspective d'une surtaxe de 20% sur les importations de véhicules et de pièces automobiles sous le prétexte de la sécurité nationale est insensée. Elle n'en donne pas moins froid dans le dos. Pour les usines canadiennes, dont une grande partie de la production est destinée aux États-Unis, ce serait dévastateur. Et si Ottawa répliquait avec un tarif équivalent sur les véhicules construits aux États-Unis, la crise s'étendrait aux consommateurs et aux concessionnaires canadiens. Cauchemardesque.

On ne sait pas si ce projet est sérieux, ou si le président se contentera de l'agiter sous le nez de ses partenaires commerciaux, comme il l'a fait avec son hypothétique sortie de l'ALENA. Mais en attendant, le secteur automobile retient son souffle.

C'est là tout l'effet pervers de la menace... et de la prospérité actuelle. En l'absence de graves dommages, il est encore plus difficile de faire comprendre à l'administration Trump que sa guerre commerciale est une stratégie dangereuse et vouée à l'échec, qu'elle devrait remiser avant de se brûler les doigts.

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«Nous ne pouvons pas faire semblant qu'il s'agit du cours normal des affaires. L'administration doit fournir des réponses au Comité de voies et moyens et, surtout, au peuple américain, sur les objectifs de ses politiques commerciales,et dire si, oui ou non, elles fonctionnent.»

- Seize élus démocrates dans une lettre au président de ce comité

«Si les exportations de voitures sud-coréennes vers les États-Unis sont bloquées et nuisent aux ventes, l'usine américaine de l'Alabama, entrée en production en mai 2005, pourrait être la première à fermer, et 20 000 travailleurs américains risqueraient d'être licenciés.»

- Le syndicat de Hyundai Motor dans une déclaration expliquant qu'en cas de restructuration, sa convention collective oblige le constructeur à fermer ses usines à l'étranger avant celles de la Corée du Sud

«Une grande partie de tout cela pourrait s'évaporer si l'ALENA est renégocié avec succès durant l'été ou l'automne.»

- Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, en conférence de presse le 11 juillet

26 : Nombre de fois où le mot «incertitude» apparaît dans le plus récent Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada.

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