Les achats de biens et services en ligne nous font perdre des centaines de millions de dollars de revenus en taxes de vente, en plus de livrer une concurrence déloyale aux entreprises d'ici. Qu'attend Ottawa pour stopper ce travail de sape?

Zéro. C'est le nombre d'analyses réalisées par l'Agence du revenu du Canada pour estimer les pertes fiscales subies par le trésor public à cause du commerce électronique. Cette réponse fournie à nos collègues d'Ottawa à la suite d'une demande d'accès à l'information en dit long sur l'inertie fédérale dans ce domaine.

Pourtant, les consommateurs font de plus en plus d'achats en ligne, souvent auprès de commerces situés à l'extérieur du pays, qui ne perçoivent ni la taxe sur les produits et services (TPS) fédérale, ni les taxes de ventes provinciales, comme la TVQ. Et les annonceurs canadiens achètent de plus en plus d'espace publicitaire auprès de réseaux sociaux et de moteurs de recherche comme Facebook et Google qui, contrairement aux télés, radios et médias imprimés canadiens, ne perçoivent pas de taxes de vente.

Le commerce numérique provoque une fuite de revenus croissante, et on ne cherche pas à en mesurer l'ampleur? Pis encore qu'un manque de volonté politique, il ne semble même pas y avoir l'ombre du début d'une prise de conscience.

Il y a bien la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, qui s'est engagée à étudier «l'écart fiscal», sauf que les analyses publiées jusqu'ici par Revenu Canada ne portent pas là-dessus. Les termes commerce électronique ou vente en ligne n'apparaissent même pas dans le rapport portant sur l'écart fiscal lié à la TPS. (Un autre rapport sur l'écart fiscal international est prévu l'été prochain, mais on ne sait pas encore sur quoi il portera.)

Le ministre des Finances étant en pleines consultations prébudgétaires, son bureau ne veut pas donner d'indications sur ce qui pourrait se retrouver, ou non, dans le prochain budget.

Jusqu'ici, Bill Morneau n'a jamais manifesté le désir d'intervenir pour endiguer ces fuites de revenus.

Les provinces qui le désirent pourraient sans doute adopter des mesures pour essayer de freiner l'érosion sur leur territoire, mais en l'absence de directives claires et uniformes d'Ottawa, elles auront beaucoup plus de difficulté à les faire respecter.

Il est clair que le fédéral doit prendre l'initiative dans ce dossier. Mais est-il seulement conscient du problème? On se le demande en le voyant scier lui-même la branche fiscale sur laquelle il est assis. Le gouvernement canadien, en effet, dépense une part de plus en plus importante de son budget publicitaire en ligne - y compris sur des plateformes qui ne perçoivent pas de taxes de vente. Même l'Agence du revenu y contribue, puisque sa dernière campagne sur la prévention de la fraude fiscale était principalement numérique.

Est-ce parce que l'économie canadienne se porte bien, comme nous le rappelle régulièrement le premier ministre? Ou parce que son gouvernement n'est pas, passez-nous l'euphémisme, obsédé par l'atteinte de l'équilibre budgétaire? Si l'administration Trudeau ne sent pas l'urgence d'intervenir pour récupérer ses taxes, qu'elle le fasse pour les provinces, dont les finances sont nettement plus serrées. Et pour les entreprises canadiennes, qui non seulement perçoivent les taxes de vente pour l'État, mais paient leurs impôts et emploient des travailleurs ici. Si Ottawa se donne la peine d'évaluer tout ce que nous coûte son inertie fiscale, on verra que c'est beaucoup plus que des revenus de TPS.

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