Beaucoup de Québécois achètent des billets de loterie avec autant d'assiduité qu'ils fréquentent la messe : jamais, sauf une fois par année à Noël. Si vous trouvez un gratteux dans votre bas de Noël et que vous ne gagnez rien avec, vous pourrez vous consoler en vous disant qu'au moins, l'argent est allé à une société d'État qui retourne une grande partie de ses profits au Trésor public. Mais Loto-Québec gère-t-elle ses activités de la manière la plus efficace possible ? Pas forcément, a montré récemment le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal. Une leçon à méditer au sujet des monopoles d'État.

Réduction du nombre d'appareils de loterie vidéo (ALV) pour lutter contre le jeu pathologique, concurrence des casinos et des sites de jeu en ligne de l'extérieur de la province, baisse de la demande des Québécois pour les jeux de hasard... Le rapport du Centre le reconnaît d'emblée : la rentabilité de Loto-Québec a d'abord été compromise par des facteurs hors de son contrôle. Mais qu'est-ce qu'elle a mis du temps avant de redresser la barre ! 

Des chercheurs du Centre ont estimé la productivité du travail de Loto-Québec, soit le nombre d'heures travaillées pour générer sa valeur ajoutée. Après avoir atteint un sommet en 2000, cette productivité a dégringolé durant près de 15 ans, soit jusqu'en 2013. Et les coupes ciblées imposées par le gouvernement à l'ensemble de la fonction publique en 2010 n'ont rien changé à l'affaire. « En limitant ses exigences à des cibles comptables - un meilleur contrôle des salaires, une réduction des dépenses d'administration, de publicité et de formation - le gouvernement a certes obtenu des résultats sur le plan des coûts d'opération mais sur le fond, ses demandes ne représentaient pas de véritables incitatifs à l'efficacité », souligne le rapport. 

C'est seulement avec son plan stratégique 2014-2017 que Loto-Québec a commencé à renverser la vapeur et à améliorer sa productivité, observent les chercheurs. 

Aujourd'hui, la « gestion efficace et efficiente des ressources » figure en toutes lettres dans le nouveau plan stratégique qui court jusqu'en 2020, et les résultats sont en hausse dans les derniers rapports financiers de la société. Cette longue période de flottement n'a toutefois pas été sans conséquence.

Si la société avait réussi à maintenir un niveau de productivité constant, son bénéfice réel aurait continué à augmenter durant cinq années supplémentaires, soit entre 2000 et 2005, et aurait moins diminué par la suite. En 2015, il aurait été 1,25 fois plus élevé, ont calculé les auteurs du rapport.

« La question, c'est : est-ce qu'on pourrait être plus rentable pour les mêmes ventes, ou aussi rentable pour moins de ventes ? Est-ce qu'on ne pourrait pas faire disparaître des appareils de loterie vidéo, mais en même temps faire des gains de productivité, ce qui aurait pour effet de compenser la diminution des ventes et de maintenir le bénéfice ? », fait valoir le directeur du centre, Robert Gagné. 

Loto-Québec a fait disparaître plusieurs de ces appareils au fil des ans, mais la plupart du temps à la demande du gouvernement, qui réagissait lui-même aux pressions de la population et de la santé publique. 

Un nouveau plan d'action a d'ailleurs été lancé l'an dernier après que La Presse eut révélé le non-respect de la limite de deux appareils par 1000 habitants dans près de cinquante municipalités et arrondissements. La dépendance du gouvernement envers le dividendes de Loto-Québec, et la dépendance de celle-ci envers ces lucratives machines qui transforment plusieurs utilisateurs en zombies, ont fini par donner une image peu flatteuse de l'État et de son monopole du jeu. En améliorant sa productivité plus tôt, Loto-Québec se serait donné une marge de manoeuvre qui aurait permis de réduire le parc d'ALV plus rapidement. 

Québec devrait voir au-delà de son dividende et fixer des objectifs assortis d'indicateurs de performance, suggère le directeur du Centre. On n'en est pas encore là. 

Québec souscrit aux objectifs du plan stratégique élaboré par Loto-Québec pour la réduction des coûts et la productivité, nous a-t-on répondu par courriel au bureau du ministre des Finances. Mais, précise-t-on, « c'est en déterminant l'objectif du dividende à verser que gouvernement s'assure que la Société d'Etat optimise le ratio coûts/revenus ».

Évidemment, si le gouvernement place la barre à un certain niveau, il peut s'attendre à ce que son monopole d'État s'organise pour la franchir. Mais celui-ci le fera-t-il de façon optimale ? Pas nécessairement, confirme cette analyse de Loto-Québec. La question vaut aussi pour la Société des alcools du Québec : la SAQ n'a pas fait tout en son pouvoir pour obtenir les meilleurs prix de ses fournisseurs, a révélé la vérificatrice générale l'an dernier. 

Loto-Québec et la SAQ ont beau avoir le monopole de leurs activités respectives, elles sont des concurrents parmi d'autres dans le vaste domaine du loisir et du divertissement. Le consommateur ayant un budget limité, ses dollars dépensés au casino ou à la SAQ ne le sont pas ailleurs. Si le manque d'efficacité des sociétés d'État les amène à pratiquer des prix trop élevés, ou des techniques de ventes trop agressives, ce sont les clients et le reste de l'économie qui en souffrent. Et ça, ce n'est vraiment pas responsable.

>> Consultez l'étude sur la productivité de Loto-Québec

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