Criminaliser le comportement des conducteurs affichant un taux d'alcool de 0,05 à 0,08 risque d'avoir des effets indésirables sans donner les résultats recherchés. Par contre, Québec devrait réfléchir sérieusement à des pénalités administratives pour cette zone grise.

Comme l'a révélé La Presse cette semaine, la ministre fédérale Jody Wilson-Raybould songe sérieusement à modifier le Code criminel pour réduire la limite tolérée de 80 à 50 mg d'alcool par 100 millilitres de sang.

Un dossier criminel peut devenir un sérieux handicap au moment de chercher un emploi, de voyager ou même de s'assurer. Un gouvernement doit y réfléchir à deux fois avant de sortir cette matraque.

Le Québec étant la seule province à ne pas imposer de sanctions administratives entre 0,05 et 0,08, sa population n'a jamais été sensibilisée à cette « fourchette d'avertissement », comme on l'appelle en Ontario. Coller un casier judiciaire aux conducteurs québécois qui n'auront pas intégré le réflexe du jour au lendemain, alors que ceux des autres provinces ont eu de nombreuses années pour l'assimiler, serait une grave injustice.

Cette iniquité n'est pas le seul problème. L'objectif, ne l'oublions pas, est de réduire le nombre de collisions. Or, dans les endroits où l'alcoolémie entre 0,05 et 0,08 est déjà punie, c'est-à-dire la majeure partie du pays, la criminalisation risque fort de ne pas amener les progrès espérés.

Les pénalités existantes (suspension immédiate du permis, obligation de suivre un programme, pose d'un antidémarreur, etc.) sont déjà lourdes de conséquences. 

Les conducteurs qui les ignorent deviendront-ils subitement prudents devant la possibilité d'un dossier criminel ? On en doute : l'effet dissuasif de la criminalisation a ses limites, comme le montrent les centaines de Canadiens arrêtés à plus de 0,08 chaque année.

Un taux d'alcool entre 0,05 et 0,08 est-il pour autant inoffensif ? Non, et il serait temps que Québec le fasse clairement sentir. De multiples études l'ont démontré : à 0,05, plusieurs habiletés, comme le freinage, la direction, le changement de voie, le jugement et l'attention partagée, sont déjà affectées. À l'inverse, plusieurs pays où le seuil de tolérance a été réduit à 0,05 ou moins ont enregistré des signaux positifs.

Une analyse des provinces passées à 0,05 a d'ailleurs constaté une réduction de l'alcoolémie chez les conducteurs morts dans des collisions. Et pas seulement dans la fourchette nouvellement sanctionnée : les conducteurs à plus de 0,08, et même à plus de 0,15, étaient aussi moins nombreux. Pas si étonnant : un tel changement s'accompagne d'efforts (pub, médias, présence policière) qui augmentent la sensibilisation et la perception du risque d'être arrêté.

Le nouveau Code de la sécurité routière est attendu à l'automne. Québec devrait en profiter pour signaler que conduire avec un taux d'alcool supérieur à 0,05 n'est pas une bonne idée.

Combien de consommations avant d'atteindre 0,05 ? Vérifiez avec cet outil de calcul interactif.

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