Le ministre fédéral des Finances Bill Morneau multiplie les appels du pied à l'endroit de la classe moyenne. La stratégie est habile, mais la gratitude ne sera pas nécessairement au rendez-vous.

« L'inquiétude de la classe moyenne nous préoccupe, c'était une grande partie de notre message en campagne électorale », a souligné Bill Morneau en entrevue éditoriale à La Presse cette semaine.

La classe moyenne, on le sait, est omniprésente dans le discours du ministre des Finances.

Non seulement l'expression figure dans le titre de chacun de ses budgets, mais elle revient 166 fois dans son dernier opus.

C'est habile, car le concept ratisse large. Au Québec, par exemple plus de la moitié de la population (56 %) s'en réclame, alors qu'à peine plus du tiers (38 %) en fait réellement partie. À l'inverse, moins du quart des contribuables appartenant à la classe supérieure s'y identifient, a signalé récemment notre collègue Stéphanie Grammond.

La perception de la classe moyenne n'est pas qu'une affaire de revenus. Pour beaucoup de contribuables, c'est avant tout un état d'esprit. Ils ne se considèrent évidemment pas pauvres, mais ils ne se sentent pas riches pour autant. Ils ne sont pas au-dessus de leurs affaires, encore moins indépendants de fortune. Ils travaillent fort, doivent faire des choix, et ont l'impression de payer beaucoup d'impôt. Cependant, si courtiser les citoyens qui s'identifient à la classe moyenne est une évidence, calmer leur inquiétude est une autre paire de manches. Car cette réalité-là aussi est très impressionniste.

Nous ne sommes pas aux États-Unis, Statistique Canada nous l'a rappelé cette semaine.

L'impression que les jeunes générations tirent moins bien leur épingle du jeu que leurs parents ne se vérifie pas ici.

À 30 ans, la majorité des jeunes nés entre 1970 et 1984 gagnaient autant, sinon plus, que leurs parents au même âge, montre l'analyse de StatCan. Aux États-Unis, seulement la moitié de la cohorte née en 1980 a réussi à se maintenir au niveau de la génération précédente.

D'autres facteurs, comme le taux d'endettement, le prix des maisons ou les aspirations personnelles, peuvent évidemment amener les jeunes à trouver leur vie beaucoup plus difficile que celle de leurs parents. Toutefois, ce sont des inquiétudes sur lesquelles un gouvernement a bien peu de prise.

Autre souci, bien objectif celui-là :  l'instabilité des revenus. Près d'un Canadien sur cinq doit composer avec des revenus fluctuant de plus de 25 % d'un mois à l'autre, montre un sondage récent du Groupe Banque TD. Si l'on ajoute tous ceux dont les revenus varient dans une moindre proportion, on arrive à presque trois Canadiens sur cinq. Les étudiants et les plus jeunes membres de la génération Y (18 à 24 ans) sont particulièrement touchés, mais aussi les hommes les plus âgés de la génération X (45 à 54 ans).

Les mesures de soutien à la formation et au perfectionnement présentées dans le dernier budget Morneau pourraient aider une partie de ces Canadiens, notamment ceux qui sont à faible revenu ou sous le seuil de faible revenu, ceux qui ne trouvent pas d'emploi et ceux qui travaillent à temps partiel faute de mieux.

Par contre, un gouvernement peut difficilement convaincre les entreprises de renoncer à la flexibilité des contrats et du temps partiel pour créer des postes permanents à temps plein - ces « bons emplois » qui donneraient aux jeunes générations l'impression d'avoir les mêmes chances que leurs parents.

« L'inquiétude de la classe moyenne » est une formule qui frappe, surtout dans sa version anglaise (middle class anxiety), mais c'est une arme à deux tranchants. En y faisant écho et en annonçant des mesures pour y remédier, le ministre Morneau se montre à l'écoute de la population. Si celle-ci ne perçoit aucun progrès, par contre, elle risque de le tenir directement responsable de sa situation qu'elle juge si inquiétante.

Infographie La Presse

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