La difficulté d'échanger des points Air Miles contre les récompenses désirées a fâché beaucoup de membres récemment. Et ce programme n'est pas le premier à jouer ainsi sur les nerfs de ses adhérents. C'est une bien mauvaise stratégie, car les consommateurs sont de plus en plus conscients de leur valeur et n'ont aucune patience pour les entreprises qui ne tiennent pas leurs promesses. Les systèmes de fidélisation ont intérêt à en tenir compte s'ils ne veulent pas finir comme les timbres Gold Star.

« Si c'est gratuit, c'est vous qui êtes le produit. » On a depuis longtemps compris l'astuce : si autant d'applications mobiles et d'outils internet sont offerts sans frais, c'est parce que l'utilisateur les paie de sa personne, en donnant accès à une foule d'informations personnelles - navigation en ligne, magasinage et achats, déplacements, etc.

Les programmes de fidélité ont poussé le modèle plus loin. En réclamant des points sur ses achats, non seulement l'utilisateur donne-t-il accès à une partie de sa vie, mais il oblige le marchand à acheter ces points pour les lui offrir. Il est le produit parce que c'est avec lui que le programme fait de l'argent.

Ça fonctionne tant que le consommateur y trouve son compte. Malheureusement, les gestionnaires de ces programmes ont une conception très asymétrique de la fidélité et ne se gênent pas pour changer les règles du jeu en chemin. C'est ce qu'a fait la chaîne Pharmaprix avec son programme Optimum, en 2010, en augmentant le nombre de points exigés pour obtenir un rabais. Du coup, ceux qui étaient déjà accumulés se sont vus dépréciés. Option consommateurs a lancé un recours collectif contre cette manoeuvre.

Une demande de recours collectif a aussi été déposée contre LoyaltyOne, la société qui gère le programme Air Miles. Le demandeur reproche à l'entreprise d'avoir ajouté une date de péremption sur les milles et d'avoir rendu leur échange beaucoup plus difficile. Les détenteurs risquent d'y perdre gros et l'entreprise pourrait y gagner beaucoup, dénonce la requête.

On ne sait pas encore si ce recours collectif sera autorisé. Celui contre Pharmaprix a eu le feu vert, mais la cause n'a pas encore été entendue. Bref, ce n'est pas demain la veille qu'on aura un jugement dissuasif.

Le Bureau de la concurrence refuse de parler de ses enquêtes en cours, mais s'il n'a pas de dossier là-dessus, il devrait en ouvrir un au plus vite. Sachant le pouvoir d'attraction que les programmes de points exercent sur les consommateurs, on ne devrait pas laisser des entreprises attirer des clients avec des promesses qui ne seront pas tenues.

Chez nous, l'Office de la protection du consommateur (OPC) a déjà envisagé d'interdire les dates d'expiration sur les points, comme elle l'a fait sur les cartes cadeaux, mais cette révision législative proposée il y a trois ans n'a toujours pas abouti. Comme on le voit, elle est plus que jamais d'actualité. Il est grand temps que la ministre de la Justice, qui est responsable de l'OPC, dépoussière ce dossier.

Non seulement les points des programmes de récompense ont-ils une valeur tangible (celle-ci a été discutée à plusieurs reprises dans des causes de séparation), mais aussi les consommateurs sont de plus en plus conscients que leurs données personnelles ont un prix. Au Canada, 41 % des répondants considèrent qu'elles ont une très grande valeur aux yeux des entreprises, montrent les résultats d'une enquête publiée la semaine dernière par Aimia (propriétaire du programme Aeroplan).

Les timbres Gold Star qu'il fallait coller dans des carnets pour les échanger contre des cadeaux ont depuis longtemps disparu. Et si Michel Tremblay ne les avait pas immortalisés dans Les Belles-soeurs, on aurait oublié jusqu'à leur nom. Les programmes de fidélisation sont bien partis pour connaître le même sort, s'ils n'arrêtent pas de se dévaluer aux yeux des consommateurs.

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