En annonçant à ses abonnés cellulaires qu'elle utilisera leurs données sans rien leur donner en échange, Bell rompt le contrat tacite en vigueur depuis plusieurs années dans l'univers numérique. Les consommateurs sont en droit de poser des questions.

Plusieurs clients de Bell Mobilité ont été interloqués d'apprendre que leur fournisseur utiliserait bientôt les renseignements figurant à leur dossier (type d'appareil, code postal, sexe, groupe d'âge, etc.) et portant sur l'usage qu'ils font du réseau (applications et fonctions utilisées, localisation, etc.) à des fins marketing.

Bell assure que les informations vendues à des entreprises externes ne permettront pas d'identifier les clients, et seront plutôt regroupées pour former des auditoires cibles - jeunes adultes, habitants d'une région, utilisateurs de jeux vidéo, etc. Elle a aussi créé une page où les abonnés peuvent refuser que leurs données soient utilisées à de telles fins.

L'obligation d'effectuer une démarche pour se retirer du programme en a néanmoins irrité plusieurs. Le consentement implicite est un raccourci commode, mais ce n'est pas la formule la plus rassurante. La commissaire fédérale à la protection de la vie privée et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications ont reçu beaucoup de plaintes. Il faudra attendre le résultat de leurs enquêtes pour savoir si la stratégie de Bell est conforme aux lois. En attendant, les consommateurs sont en droit de s'interroger.

Bell n'est pas la seule à vouloir ainsi tirer profit des comportements et intérêts de ses clients. Des sociétés comme Google ou Facebook, mais aussi des détaillants comme Métro, des programmes de fidélisation comme Aéroplan, des développeurs d'applications mobiles et d'innombrables fournisseurs de contenu internet ont depuis longtemps compris la valeur de telles informations. Elles permettent de dresser des profils de plus en plus précis auxquels ils peuvent présenter des offres de plus en plus ciblées, ce qui augmente grandement les perspectives de ventes.

Comment convaincre le consommateur de se laisser épier? La plupart lui offrent quelque chose en retour: un moteur de recherche, un réseau social, un service de courriel, un jeu, des points échangeables contre des biens et services, des rabais, etc.

C'est ce qu'a fait Rogers en offrant 5$ aux 35 000 premiers clients qui s'inscrivent à son système d'alertes et acceptent de recevoir des promotions sur leur cellulaire lorsqu'ils passent à proximité des détaillants participants. C'est peu, mais c'est mieux que Bell, qui n'offre rien du tout à ses abonnés.

Bell Canada fait le pari que la majorité de ses clients ne réalisent pas la valeur des informations dont elle dispose à leur sujet et, donc, qu'ils lui permettront d'en tirer profit sans rien exiger en échange et, même, en continuant à la payer grassement pour ses services.

C'est un pari audacieux qui, s'il nuit un peu à l'image du fournisseur en ce moment, pourrait se révéler très lucratif. Les abonnés de Bell Mobilité ont-ils envie de lui faire un tel cadeau? Ils devraient se poser la question. Si cette entreprise-là obtient ce qu'elle veut pour rien, beaucoup d'autres tenteront de l'imiter.

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