Employés, actionnaires, créanciers: les victimes de l'effondrement de Nortel Networks se comptent par centaines de milliers. Ils étaient nombreux à souhaiter voir ses trois ex-dirigeants accusés de fraude aboutir en prison hier. Le tribunal ne leur a pas donné cette satisfaction.

«Il ne suffit pas que je pense que M. Dunn, M. Beatty ou M. Gollogly est probablement coupable [...] Une preuve de culpabilité probable n'est pas une preuve hors de tout doute raisonnable», a expliqué hier le magistrat de la Cour supérieure de l'Ontario dans un des rares commentaires de son jugement. Le reste de sa décision de près de 140 pages rivalise d'austérité avec les principes comptables qu'il cite abondamment.

Non coupables parce que les accusations n'ont pas été prouvées hors de tout doute raisonnable: le verdict ne dit que ça. Pas que la Couronne s'est mis le doigt dans l'oeil, comme le soulignent parfois les juges. Ni que les accusés ont été soupçonnés injustement.

Certes, la poursuite n'a pas réussi à faire la démonstration de ce qu'elle avançait. Le traitement erroné d'une provision comptable de 80 millions, par exemple, ne prouve pas que les accusés ont manipulé les états financiers dans le but de recevoir leurs primes, puisqu'ils y auraient eu droit de toute façon. La leçon à retenir de ce verdict, toutefois, ne porte pas tant sur la qualité du travail de la Couronne que sur sa complexité.

Ce jugement confirme à quel point il est difficile de faire condamner un dirigeant de société cotée en Bourse pour malversation comptable devant un tribunal canadien. Nous ne disons pas que les accusés étaient coupables, et auraient dû être condamnés. Sauf que certains arguments retenus par le juge Marrocco n'augurent rien de bon pour de futures poursuites.

L'absence de certains documents justificatifs, par exemple, lui semble tout à fait acceptable compte tenu de la tourmente qui secouait alors Nortel. Or, c'est dans ces moments-là que les scandales financiers deviennent visibles, pas avant. Si les accusés peuvent évoquer le chaos dont ils sont en partie responsables pour étayer leur défense, les investisseurs ne sont pas sortis du bois.

Que les états financiers de Nortel, maintes fois retraités, aient été bricolés ne fait pourtant aucun doute. L'entreprise avait admis des pratiques comptables incorrectes, et craché un million de dollars, dans le cadre d'une entente avec la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario en 2007. La même année, le régulateur américain (SEC) avait réussi à lui arracher 35 millions - et près de 450 000$ à trois de ses cadres supérieurs. Mais personne n'a jamais admis la moindre responsabilité.

Les procédures de la SEC contre MM. Dunn, Beatty et Gollogly avaient été suspendues en attendant que leur cause se règle au Canada. Nous avons hâte de voir s'ils s'en tireront à si bon compte aux États-Unis. Les victimes de Nortel aussi, sans doute.

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