Les cigarettiers viennent de subir un revers majeur en Cour suprême. Mais ce n'est pas demain que les provinces réussiront à leur faire payer les soins de santé aux fumeurs.

Le gouvernement fédéral a beau avoir mis au point des variétés de tabac faibles en goudron et perçu des redevances sur leur utilisation, ça n'en fait pas pour autant un fabricant ou un fournisseur de tabac, a tranché la Cour suprême hier. L'industrie ne peut donc pas lui faire partager sa responsabilité envers les fumeurs. Heureusement! Il aurait été odieux de refiler une telle facture aux contribuables.

Reste à voir si les manufacturiers trouveront d'autres motifs pour retarder encore l'examen de la question principale. Il y a déjà six ans que la Cour suprême a confirmé que la Colombie-Britannique avait le droit de leur réclamer les sommes dépensées pour traiter les maladies causées par le tabagisme. Depuis, toutes les provinces ont adopté des lois leur permettant d'intenter de tels recours, et quatre d'entre elles sont passées aux actes.

Cependant, on est encore bien loin d'un premier verdict - lequel ira sûrement jusqu'en Cour suprême. On n'est donc pas près de savoir si, ni combien, l'industrie aura à payer. Québec estime que les maladies causées par le tabagisme lui coûtent un milliard de dollars par an en soins de santé, et sa poursuite devrait courir sur plusieurs décennies. L'Ontario, par exemple, réclame 50 milliards. Pas étonnant que les cigarettiers se défendent avec l'énergie du désespoir! Les contribuables, par contre, n'ont pas ce luxe: la facture du tabagisme dans le système public de santé, ce sont eux qui l'assument depuis le début.

Le processus s'annonce encore plus long ici, où trois fabricants contestent la validité de la loi québécoise permettant de les poursuivre. Selon eux, le feu vert donné par la Cour suprême à la loi britanno-colombienne ne s'applique pas ici, à cause d'une différence entre les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Québec ayant échoué à faire rejeter ce recours, l'affaire est revenue en Cour supérieure. Les cabinets d'avocats, on le voit, ont encore de belles années devant eux. D'autant plus que Québec n'attendra pas forcément ce jugement pour intenter sa propre poursuite en recouvrement des coûts de santé - sa loi lui donne jusqu'en juin 2012 pour le faire.

Bref, il faudra des années avant d'être fixé. Les provinces ont pourtant raison de persévérer, car aux États-Unis, l'industrie a fini par payer. Le Tobacco Master Settlement Agreement est une entente à l'amiable, mais l'essentiel y est. Les principaux manufacturiers de tabac américains ont accepté de verser plus de 200 milliards en 25 ans aux États, afin de régler leurs poursuites visant à récupérer leurs dépenses en santé.

Une affaire à suivre, donc. Toutefois, les provinces auraient peut-être avantage à faire front commun elles aussi, ne serait-ce que pour partager les frais juridiques.

akrol@lapresse.ca

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