Oh qu'ils ont mis le doigt sur une plaie ouverte et douloureuse, nos collègues de la section Arts et être!

Leur idée de demander au même moment (8h45 du matin) à plus d'une centaine de Montréalais ce qu'ils écoutaient a mené à un constat troublant: la musique en français se faisait très, très rare.

Ce reportage n'avait absolument rien de scientifique. N'empêche: il corroborait les observations de l'industrie musicale du Québec, pour qui le phénomène est aussi concret que terrifiant.

La façon dont on consomme la musique est en train de subir une profonde transformation, et les artistes qui chantent en français semblent être marginalisés comme ils ne l'ont jamais été auparavant.

On ne mettra pas de gants blancs: si la tendance se maintient, on court à la catastrophe.

Si rien n'est fait pour atténuer les ravages constatés, la musique francophone pourrait être une espèce en voie de disparition.

Il est vrai que les artistes québécois arrivent encore à tirer leur épingle du jeu sur le plan des ventes d'albums. En 2017, parmi les 500 albums les plus vendus au Québec, 180 étaient ceux d'artistes québécois.

Le problème, c'est qu'au Québec comme partout ailleurs, les ventes d'albums sont en chute libre. Ces 500 albums représentaient plus de 5,8 millions d'unités vendues en 2007, mais seulement 2,1 millions en 2017, selon les données de l'ADISQ (on parle ici tant des copies physiques que numériques).

La chute est brutale. Et elle va se poursuivre. C'est un peu comme si les artistes québécois, contre leur gré, avaient sauté en parachute... sans parachute.

Et leur parachute de rechange? Hélas, il ne fonctionne pas. Et c'est le problème le plus sérieux auquel font face les chanteurs d'ici.

Car les amateurs de musique délaissent les albums et migrent à toute vitesse vers les plateformes d'écoute en continu comme YouTube, Spotify et Apple Music, pour nommer les trois plus populaires.

Et dans cette jungle où les algorithmes jouent un rôle clé et vous imposent des goûts, les artistes d'ici, pour toutes sortes de raisons qui n'ont rien à voir avec leur talent, ne font pas le poids. Règle générale : on ne leur accorde pas la place qu'ils méritent.

Il est extrêmement difficile d'évaluer cette place, puisque les plateformes d'écoute en continu défendent jalousement leurs données - comme on le rapportait dans notre reportage -, mais elle semble négligeable.

L'ADISQ a remarqué que «les produits locaux sont noyés dans une offre immense» sur les plateformes d'écoute en continu et estime que leur part de marché dans ce nouvel univers se rapproche probablement - au mieux - du pourcentage annuel des ventes de chansons numériques par les artistes d'ici. Et ce pourcentage est très faible. Beaucoup trop faible, en fait. En 2017, la part des ventes des pistes québécoises n'était que de 6,3% du total des ventes des 500 chansons les plus téléchargées au Québec.

Choquant? Oui, mais attendez, ce n'est pas tout. Non seulement on a maintenant du mal à découvrir les artistes d'ici, mais comble d'insulte, le milieu de la musique ne reçoit qu'une fraction des revenus qu'il obtenait auparavant. Le mot «miettes» serait en fait plus approprié.

On sonne d'ailleurs l'alarme depuis plusieurs années. Les revenus ont chuté de plus de la moitié en 15 ans! Pensez-vous sérieusement qu'on aurait laissé les médecins, les policiers ou les enseignants s'appauvrir de cette façon sans lever le petit doigt pour les aider?

Alors qu'attend-on pour proposer des solutions à cette crise? Pour revoir les systèmes de soutien à la création et à la production? Pour veiller à ce que les jeunes d'aujourd'hui, qui sont en train de développer leurs goûts musicaux et leurs habitudes d'écoute, aient accès aux artistes d'ici aussi facilement qu'aux artistes d'ailleurs? Pour donner de l'oxygène à nos artistes?

Jusqu'ici, on a manqué de volonté politique, mais actuellement, on y réfléchit à Ottawa. Le temps presse. S'en rendre compte est fondamental. Agir promptement et avec efficacité l'est encore plus.

On a mis des artistes au monde, on devrait peut-être nous laisser les écouter!

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