Ce n'est qu'une sombre coïncidence, mais elle est hautement symbolique. Un des attentats les plus meurtriers des dernières années contre des journalistes s'est produit en Afghanistan quelques jours avant la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Neuf reporters ont été tués à Kaboul, capitale de ce pays sur lequel pèse une malédiction que personne ne parvient à rompre.

À l'extérieur de l'Afghanistan, on a davantage parlé de cet attentat que des autres commis dans ce pays ces derniers mois. En raison de son ampleur, très certainement : au moins 25 personnes ont péri, incluant les journalistes. Mais aussi parce que l'une des victimes était le chef photographe de l'Agence France-Presse : Shah Marai.

Si on a pu savoir ici ce qui s'est passé là-bas au cours des deux dernières décennies, c'est notamment grâce à lui. Ses photos ont été publiées aux quatre coins du monde, entre autres dans les pages de La Presse. Comme tous les journalistes travaillant dans ce pays, il a fait le pari d'informer au péril de sa vie.

C'est le groupe État islamique qui a revendiqué cet attentat ignoble, précisant qu'il avait ciblé spécifiquement les «apostats des forces de sécurité et des médias». Selon Reporters sans frontières (RSF), le double attentat suicide visait «sciemment la presse».

On ne s'étonnera pas que les fondamentalistes cherchent à se débarrasser des journalistes. On ne s'étonnera pas non plus, par ailleurs, que les tyrans et les escrocs ne les portent pas dans leur coeur.

Chaque année, RSF publie un classement mondial de la liberté de la presse. Les noms des pays qui croupissent à la queue de ce classement - dont la version la plus récente a été publiée la semaine dernière - n'étonneront personne. Corée du Nord, Érythrée, Turkménistan, Syrie, Chine...

Ce qui est particulier, en revanche, c'est que l'organisation a sonné l'alarme cette année parce qu'elle estime que «la haine du journalisme» menace désormais les démocraties.

«De plus en plus de chefs d'État démocratiquement élus voient la presse non plus comme un fondement essentiel de la démocratie, mais comme un adversaire pour lequel ils affichent ouvertement leur aversion», écrit-elle.

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On n'a pas à regarder très loin. Il suffit de jeter un coup d'oeil chez nos voisins du Sud pour comprendre que les choses ont vraiment commencé à dégénérer. Donald Trump, qui avait tenu des propos odieux à l'égard des journalistes lors de sa campagne, est devenu encore plus virulent depuis son élection.

Pensons-y : il a été jusqu'à traiter d'«ennemis du peuple» les journalistes de certains médias. Il a même ciblé des reporters en particulier, les traînant dans la boue sur Twitter. La Maison-Blanche a même orchestré la remise de «Fake News Awards» en janvier dernier.

Cette sortie indéfendable n'était hélas pas très différente de celle, récente, du plus haut responsable civil du palais royal de l'Arabie saoudite, Saoud al-Qahtani. Ce dernier vient de contribuer à la création sur Twitter d'une liste noire des journalistes qui «insultent le royaume du bien», a rapporté l'hebdomadaire Courrier international.

Détrompez-vous, par ailleurs : Donald Trump n'est pas l'exception qui confirme la règle au sein des démocraties. Cette haine du journalisme est contagieuse. Aux Philippines, en Inde et même dans certains pays démocratiques d'Europe (en République tchèque, le président a brandi une fausse arme à feu sur laquelle on pouvait lire : «pour les journalistes»), les politiciens diabolisent, insultent et menacent les reporters.

Nous ne prétendons pas que les journalistes sont des saints. Qu'il n'y a jamais d'erreurs, d'inexactitudes ou de dérapages. Mais il y a une différence entre la saine critique et la calomnie. Entre faire des reproches et faire la promotion de la haine.

En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, il n'est pas futile de faire écho aux avertissements de Reporters sans frontières.

De saluer, également, le courage des journalistes qui défient la mort pour rapporter la nouvelle, en Afghanistan et ailleurs. Et de rappeler que se battre pour la liberté de la presse, c'est aussi se battre pour la liberté tout court.

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