Fiona est probablement l'hippopotame le plus célèbre du monde. Vous n'êtes pas encore abonné à la page Facebook de son émission de téléréalité (plus de 240 000 personnes le sont déjà) ? Vous aurez probablement, à partir de maintenant, du mal à résister.

Non seulement cette petite bête est adorable, mais le Zoo de Cincinnati, où elle est née, a déployé des efforts considérables pour en faire la promotion. Et ça marche ! Même le New York Times a récemment consacré un long article à cet hippopotame.

Ceux qui entendent parler de son histoire attendrissante sont, en général, émus. Les hippopotames ne survivent habituellement pas lorsqu'ils naissent prématurément. Fiona, elle, est née six semaines trop tôt. Le personnel du zoo a littéralement créé une unité de soins intensifs pour ce bébé (et même obtenu l'aide de l'Hôpital pour enfants de Cincinnati) et lui a sauvé la vie.

Sa popularité n'est toutefois pas anecdotique. C'est plutôt le plus récent d'une longue série d'événements, d'initiatives et de réactions qui démontrent que l'idée qu'on se fait des animaux a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Et qu'elle continue de se transformer.

C'est aussi ce qu'a démontré, d'ailleurs, le récent tollé mondial lorsque l'administration de Donald Trump a réautorisé les chasseurs à importer des trophées d'éléphants sur le sol américain. Et le fait que 24 heures plus tard, le président annonçait sur Twitter le « gel » de cette décision.

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Notre « regard sur les animaux a manqué et manque encore de discernement », ont expliqué avec brio les biologistes Daniel Pauly et Philippe Cury dans leur livre Mange tes méduses, publié il y a quelques années. Ce regard a été et demeure trop souvent « intéressé ». Bon nombre d'animaux sont encore avant tout, pour bon nombre d'humains, des ressources. Des « machines à produire ».

« Mais on ne peut plus le dire comme ça, sans nuance », dit aujourd'hui Daniel Pauly, qui confirme lui aussi que les temps changent. « On se rend compte que nous ne sommes pas foncièrement différents des animaux. » Ce biologiste franco-canadien souligne d'ailleurs qu'il y a de plus en plus de végétariens et même de végétaliens dans nos sociétés et prédit que « la plupart des gens des prochaines générations le seront ».

La notion de bien-être animal est en vogue. Même au Québec, la situation juridique de l'animal vient de changer. Un projet de loi adopté il y a deux ans a amendé le Code civil pour « que les animaux ne soient plus réduits au statut de "biens meubles" ». On considère qu'ils sont « doués de sensibilité ».

Notre perception des animaux est incontestablement en train de se modifier, mais... pas assez rapidement.

De plus en plus de spécialistes estiment que la « sixième extinction » est en cours. Les études à ce sujet s'accumulent. Une des plus récentes, publiée en juillet dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, démontre que près du tiers (32 %) des quelque 27 600 espèces de vertébrés sont en déclin. On parle ici autant de mammifères, de reptiles et d'oiseaux que d'amphibiens.

Le Canada et le Québec n'ont malheureusement pas de leçons à donner au reste de la planète. L'organisation WWF Canada a publié en septembre un rapport qui indique que le déclin du monde animal s'accélère ici aussi. Et le rythme de ce déclin est affolant : on parle d'une diminution moyenne, de 1970 à 2014, de 83 % de la moitié des populations de 903 espèces de vertébrés qu'on retrouve au pays.

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Tant mieux, donc, si les zoos deviennent des endroits d'où l'on peut « vraiment sonner l'alarme sur ce qu'il faudrait faire pour sauver les espèces en danger menacées par les changements climatiques », comme le faisait valoir récemment le sociologue américain David Grazian.

Tant mieux si on se laisse attendrir par Fiona. Tant mieux, aussi, si on s'émeut des dangers qui guettent les éléphants, les caribous, les baleines noires et les abeilles. Et si l'on se soucie davantage du bien-être et de la sécurité des animaux.

Mais notre changement d'attitude ne s'est pas encore traduit de façon assez marquée dans les gestes que nous faisons pour protéger l'ensemble des espèces. Prendre la mesure de l'urgence de la situation est pourtant essentiel si on veut véritablement freiner ce que Rodolfo Dirzo, un des auteurs de l'étude alarmante publiée en juillet dernier, a qualifié d'« anéantissement biologique ».

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