Et si on vous disait que le Québec est assis sur un projet industriel de plus de deux milliards de dollars ? Un projet qui mobiliserait une centaine de travailleurs pendant plus d’une décennie ?

Ce projet n’est pas une lubie. Il s’agit du démantèlement de Gentilly-2, dans le Centre-du-Québec. Cette centrale nucléaire a cessé sa production en 2012. Depuis, les lieux ont été sécurisés et sont en dormance. Mais il faudra un jour démanteler la centrale et restaurer le site.

Le coût du projet a déjà été inscrit à la dette du Québec. Mais les plans actuels sont d’attendre 40 ans pour s’y attaquer. Un groupe d’anciens travailleurs du secteur nucléaire propose plutôt de s’y mettre immédiatement. Il compte notamment Jean-Guy Dalpé, ingénieur qui compte 45 ans d’expérience dans l’industrie nucléaire, dont beaucoup à Gentilly-2.

Leur solution est-elle vraiment la meilleure ? Difficile à dire sans s’y pencher sérieusement. Tant les partisans du démantèlement immédiat que ceux du démantèlement différé ont d’excellents arguments à faire valoir.

Mais force est de constater que ce débat n’a pas lieu. La décision de retarder le démantèlement a été prise par Hydro-Québec il y a de nombreuses années. Elle n’a jamais été remise en question.

Or, les choses changent dans le monde nucléaire. Il ne coûterait pas cher de réétudier la question pour s’assurer que la solution choisie est toujours la meilleure.

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Le principal argument des partisans du démantèlement immédiat est l’expertise. Jusqu’en 2012, Gentilly-2 employait des centaines de travailleurs. Des entreprises privées gravitaient autour.

Désormais sans programme nucléaire actif, le Québec voit cette expertise fondre. Dans 40 ans, elle aura sans doute complètement disparu. Lorsque viendra le temps de coordonner les travaux de décontamination et de démantèlement, il faudra sans doute faire appel à des étrangers.

Il faut avouer que ce serait dommage. Si on s’y met maintenant, le démantèlement du réacteur CANDU de Gentilly-2 représenterait une première mondiale. Or, une vingtaine de ces réacteurs de technologie canadienne ont été installés dans le monde (Ontario, Nouveau-Brunswick, Corée du Sud, Chine, Roumanie, Argentine).

L’expertise acquise à Gentilly-2 pourrait donc être déployée ailleurs.

Un autre argument, plus moral, veut qu’on ne lègue pas le fardeau des déchets nucléaires aux générations futures. L’Agence internationale de l’énergie atomique privilégie d’ailleurs désormais le démantèlement immédiat.

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Hydro-Québec a ses propres arguments pour retarder le projet. Et ils sont loin d’être farfelus.

Le grand défi du démantèlement est la gestion des déchets nucléaires. Or, le Canada est en train de mener une vaste réflexion à ce sujet.

Les producteurs canadiens d’énergie nucléaire, dont Hydro-Québec, ont formé la Société de gestion des déchets nucléaires. Cette société planifie actuellement la construction d’un vaste dépôt souterrain pour y entreposer le combustible irradié des centrales canadiennes.

Il s’agit d’un projet colossal… et long. Le site final n’a même pas encore été choisi. Selon l’échéancier actuel, Hydro-Québec ne pourrait y acheminer son combustible irradié avant 2048. Ce combustible a déjà été sécurisé sur le site de Gentilly-2. Rien n’empêche de commencer le démantèlement entre-temps. Mais la société d’État aimerait tout faire d’un coup.

D’autres déchets, moins radioactifs que le combustible, devront aussi être entreposés de façon permanente. Ici, c’est Ressources naturelles Canada qui vient de lancer une réflexion pancanadienne à ce sujet. Devrait-on entreposer ces déchets à un ou différents endroits ? Et où ? Il faudra des années pour obtenir des réponses – et des décennies pour voir des solutions concrètes.

Plutôt que de trouver ses propres réponses, Hydro-Québec attend le résultat de ces processus. C’est certes plus simple et moins coûteux. Mais en attendant, on perd notre expertise et on passe peut-être à côté d’occasions d’affaires.

Remettre à plus tard est-elle encore la meilleure stratégie ? Une partie des travaux pourrait-elle être devancée ? On ne trouvera pas de réponses si on ne se pose pas ces questions.

Rectificatif
Une version antérieure de ce texte situait Gentilly-2 en Mauricie. C’est inexact. La centrale nucléaire est située au Centre-du-Québec. Nos excuses.

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