À la veille de la Fête nationale des Français, demain, trois événements remarquables surviennent à Paris. D'abord, un livre blanc sur l'avenir de la diplomatie française (rédigé notamment par l'ancien premier ministre et ami du Québec Alain Juppé) est remis au ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Ensuite, on fonde officiellement une Union pour la Méditerranée, initiative française dont l'intention politique n'est pas tout à fait claire. Enfin, Comme si de rien n'était (c'est le titre), Carla Bruni-Sarkozy lance son nouvel album...

Lequel de ces événements suscitera le plus d'intérêt dans les chaumières gauloises?

Si la presse people s'y met, et elle s'y est déjà mise, les chansons de Bruni, cette «première citoyenne» hors normes, devraient provoquer un feu d'artifice de palabres autour des feux d'artifice de demain! D'ailleurs, c'est déjà fait, ça aussi. Et la première pétarade a été donnée sur le terrain diplomatique, saluant une strophe de la chanson Tu es ma came où il est question de la «blanche colombienne»... c'est-à-dire la cocaïne du pays d'Alvaro Uribe et d'Ingrid Betancourt, où on a tout de suite protesté contre une allusion jugée peu protocolaire.

En entrevue (au magazine Le Point), Carla Bruni laisse ainsi passer une pointe d'amertume : le rôle qui est désormais le sien restreint forcément sa marge de manoeuvre et d'expression, dit-elle, lui imposant une prudence qui n'est pas dans sa nature. Sur son album, elle chante : «Je fais une croix (...) sur ma carrière d'anonyme/et sur ma liberté souveraine».

Que ça lui plaise ou non, en effet, la mannequin et chanteuse est devenue un rouage - tout à fait charmant, par ailleurs... - de la grande et noble machine de la diplomatie française.

Or, cette machine demeure extrêmement puissante.

La France a toujours la plus forte présence représentative à l'étranger après les États-Unis, malgré une diminution de 11% en 10 ans des effectifs relevant du Quai-d'Orsay. Son influence culturelle demeure considérable - surtout un héritage du passé, il faut toutefois le constater, ce qui ne garantit pas à cette influence un avenir à long terme. Elle conserve des liens privilégiés avec des régions, avec des civilisations, qui comptent de plus en plus sur l'échiquier mondial : le monde arabe, l'Afrique, une partie de l'Asie.

Or, le livre blanc sur la politique étrangère française, intitulé La France et l'Europe dans le monde, se résume surtout par sa prudence et sa vision de continuité. Ce n'est pas très remarquable : en France, n'est-on pas toujours en faveur de l'innovation, à la condition qu'elle ne... change rien? Cependant, cela cadre peu avec la frénésie de mouvement de l'actuel président, Nicolas Sarkozy.

Car celui-ci bouge beaucoup. Et dans toutes les directions à la fois.

Il se rapproche des États-Unis. Il court-circuite au besoin le droit fil diplomatique, comme dans le cas des infirmières bulgares ou celui de l'otage franco-colombienne. Il «vend» des concepts pour l'instant un peu brinquebalants, comme l'Union pour la Méditerranée, justement. Il ouvre des portes étonnantes à des personnages étonnants, le leader libyen Mouammar Kadhafi, par exemple, ou le président syrien Bachar Al-Assad, invité aux célébrations du 14 juillet.

Que donnerait un quinquennat qui ne serait qu'une longue danse effectuée à un rythme aussi endiablé?

La diplomatie n'est pas d'abord une affaire de livres, mais de rapports humains. Or, Nicolas Sarkozy est un «premier citoyen» hors normes, lui aussi. Brouillon, volontariste, frondeur et imprévisible en politique étrangère comme il l'est en politique intérieure. Cela lui attire bien des moqueries : le pamphlet anti-Sarkozy est devenu en soi un genre littéraire et journalistique... Mais l'Histoire s'écrit rarement à l'intérieur des normes, comme chacun sait.

Peut-être la France a-t-elle besoin d'être secouée de cette façon-là aussi. «Je tourne le dos au temps...» chante Carla Bruni-Sarkozy.

mroy@lapresse.ca

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