On apprend ça dans les tout premiers cours de droit : juridiquement, les municipalités sont des « créatures du gouvernement provincial ».

La Cour suprême du Canada l’a d’ailleurs rappelé ce mois-ci : « Sous réserve de la Charte, une province […] a le pouvoir juridique absolu et sans réserve de légiférer à l’égard des municipalités. Les pleins pouvoirs sous ce chef de compétence ne sont limités par aucun principe constitutionnel. »

Mais le principe est clair. Si les municipalités ne sont même pas mentionnées dans la constitution canadienne, rappelle le plus haut tribunal du pays, ce n’est pas une erreur, c’est une omission délibérée. Elle signifie « que les institutions municipales n’ont pas de statut constitutionnel ».

Dans ce cas précis, cela permettait au gouvernement de Doug Ford de bouleverser la carte électorale en plein milieu d’une campagne électorale à Toronto. La Cour était divisée à 5 contre 4, mais la division a porté sur le principe démocratique de changer les règles du jeu en pleine campagne électorale, pas sur le statut des villes en droit canadien.

Mais cela nous rappelle que les municipalités ont peu de pouvoirs, en particulier en matière financière. Ce qui fait que les « créatures » sont presque toujours des quêteuses et, qu’au moment des élections, elles sont toujours dépendantes des autres gouvernements.

Ça veut dire aussi que, si les candidats ne tiennent pas leurs promesses, ils n’auront qu’à jeter le blâme sur les gouvernements supérieurs qui étaient trop pingres ou avaient d’autres idées. D’une certaine façon, ça les déresponsabilise.

C’est d’autant plus vrai que les promesses se font parfois carrément dans les compétences provinciales. Ainsi, c’est bien beau de promettre de recouvrir les autoroutes pour en faire de jolis parcs, mais on sait bien que rien ne se fera si Transports Québec ne le veut pas. Au lieu de promesses, on devrait plutôt parler de simples suggestions !

Les citoyens de Québec le savent bien : ils ont passé des années à débattre d’un projet de tramway dont la version finale, y compris le trajet, s’est finalement décidée au bureau du premier ministre.

C’est pour cela qu’il faut prendre avec un gros grain de sel ce que les divers candidats aux élections municipales peuvent promettre.

Prenons la campagne électorale à Montréal. Les enjeux sont bien connus et les promesses des candidats sont à l’avenant : la crise du logement touche directement les municipalités et exige la construction de nouvelles habitations.

Valérie Plante en promet 60 000 sur 10 ans, et Denis Coderre, qui avait qualifié la promesse de sa rivale d’« extravagante » et d’« improvisation », a renchéri en promettant 50 000 logements en quatre ans.

Sans entrer dans la guerre de chiffres propre à une campagne électorale, on notera que la Ville ne va pas tellement dépenser pour la création de logements : un fonds d’investissement de 25 millions pour M. Coderre. Le reste ? Il se trouvera à Ottawa ou à Québec dans des programmes comme Accès-Logis.

Mme Plante promet d’acheter des terrains – la construction de logements commence toujours par ça – avec 800 millions sur les… 40 prochaines années. Une bonne idée sur papier : la Ville va prêter aux organismes communautaires qui veulent acheter les terrains. Mais on a du mal à suivre les programmes gouvernementaux sur la durée d’un mandat et voici une promesse qui engagerait les 10 prochaines administrations municipales ?

Par ailleurs, toutes ces promesses peuvent difficilement se réaliser à même le budget d’une ville comme Montréal, soit 6 milliards annuellement, qui devrait grimper à 7 milliards d’ici la fin du prochain mandat, dans quatre ans.

Surtout que, contrairement aux gouvernements supérieurs, les dépenses des villes sont difficilement compressibles. On ne peut pas vraiment faire d’économies sur le déneigement, la police ou l’entretien des rues. Et on a encore une fiscalité essentiellement dépendante de la taxe foncière, et même tout le monde reconnaît que cela est insuffisant pour les grandes villes.

Reste qu’on a vu dans cette campagne électorale des initiatives intéressantes de deux candidats de villes différentes – et d’une nouvelle génération de politiciens municipaux –, qui se sont unis pour essayer de trouver des solutions.

Catherine Fournier, qui mène largement dans la course à la mairie de Longueuil, et Stéphane Boyer, qui a d’excellentes chances d’être le prochain maire de Laval, voudraient un sommet sur le logement qui réunirait les gouvernements fédéral et provincial, les villes, mais aussi les syndicats et les entreprises d’économie sociale.

Mais ils admettent d’emblée qu’une ville seule ne pourra pas répondre au plus grand défi de la vie urbaine ces prochaines années. « On est rendus à un point critique. Et il n’y a pas une ville qui peut régler à elle seule l’enjeu de l’abordabilité du logement », disait M. Boyer.

Leur solution, des « fiducies d’utilité sociale » qui deviendraient propriétaires des logements, existe déjà et devrait être étudiée davantage. Mais surtout, cette initiative montre qu’on peut dépasser le monde des promesses avec beaucoup de chiffres et regarder d’autres solutions.