« J’ai bien hâte à l’été pour pouvoir m’y remettre ! » Ce genre de phrase, certains sportifs amateurs l’ont bannie de leur discours, prêts à braver les rigueurs de l’hiver pour pratiquer en extérieur leur loisir favori. Parmi des dizaines d’activités, en voici trois pour lesquelles des Québécois n’ayant pas froid aux yeux empoignent leur planche ou leur ballon.
Surfer sur le fleuve, été comme hiver
Pour certains, surf rime avec sable chaud, crème solaire et maillot léger. Mais pour d’autres, il n’y a pas de saison pour le petit frisson. Équipés de la tête aux pieds pour résister au froid glacial du Saint-Laurent, des passionnés de la planche s’attaquent aux vagues stationnaires montréalaises, à LaSalle et derrière Habitat 67, quoi qu’indique le mercure.
Parlez-en à Igor Goni, un mordu de la discipline qui s’élance dans le fleuve été comme hiver, lorsque les conditions le permettent, depuis près de 20 ans. Armé de l’une de ses trois épaisses combinaisons intégrales (avec une couche minimale de 5 mm), de gants et de bottes maousses en néoprène, ce surfeur quatre saisons se garde à l’abri du froid. Car son pire ennemi n’est pas forcément le thermomètre, mais bien les fragments de glace s’invitant parfois dans les courants et qui, si trop nombreux et dodus, peuvent rendre la pratique périlleuse, voire proscrite. « Certains morceaux de glace à la surface peuvent venir heurter ta tête et t’assommer », prévient Igor Goni, qui laisse ses planches au placard les jours où surfer rime avec danger.
La communauté de la glisse nautique hivernale s’entraide par ailleurs pour signaler sur Facebook, au gré de la semaine, si la pratique est sécuritaire ou non, à grand renfort d’« ice reports », vidéos à l’appui. Combien se jettent à l’eau ? Sur les rives enneigées, Igor estime croiser une grosse vingtaine d’adeptes réguliers au fil de la saison froide ; bref, la surpopulation estivale de surfeurs de rivière fond drastiquement en hiver !
Chaud devant
Habitué de la « vague à Guy » à LaSalle, Igor Goni a déjà surfé par des températures ressenties de -20 oC, et ses séances hivernales peuvent s’étirer sur plus de deux heures.
Les gens demandent tout le temps : “Tu n’as pas froid ?”, mais la plupart du temps, on a plus chaud dans notre wetsuit que les promeneurs qui nous regardent depuis la rive !
Igor Goni, surfeur
Son astuce : il verse préalablement de l’eau tiède à l’intérieur de sa combinaison et dans ses bottes, ce qui épargne à son corps la tâche de réchauffer la mince couche d’eau isolante se formant entre sa peau et l’équipement.
Pas d’illusions cependant : après un certain nombre de chevauchées sur la vague, les mordillements du froid se font sentir aux extrémités. « Ça commence toujours par les pieds et les orteils, qui sont les parties restant dans l’eau le plus souvent. Les mains, également », rapporte le surfeur. Et le visage, dont une partie est à nu ? « Pas vraiment, le wetsuit peut en recouvrir une partie, on y souffle de l’air et ça reste chaud autour de la tête », précise-t-il.
Une fois sur la vague, l’hiver corse-t-il les contrôles de la planche par rapport à une situation estivale ? « Pas tant, mais s’il y a des petits morceaux de glace venant vers toi, il faut être à l’aise pour manœuvrer et les esquiver. S’initier au surf en conditions hivernales, ce ne serait pas une bonne idée », souligne le Montréalais, qui s’est initié aux joies de la glisse dans son Venezuela natal. Il lui arrive aussi d’écourter ses séances si la petite glace menace d’endommager ses planches les plus précieuses et performantes – mais quand il est de sortie avec ses « beaters », qui peuvent en prendre plein la poire, il en faudra plus pour le sortir de l’eau.
Le surfeur expérimenté en appelle à la responsabilité, tout en soulignant que la pratique en rivière, même en hiver, reste sécuritaire du moment que l’on s’abstient en cas de glace abondante. Les accidents demeurent rarissimes : il en dénombre deux en 20 ans. « Ne surestime pas tes capacités, habille-toi bien, n’y va pas s’il y a beaucoup de glace », conseille-t-il, lui qui a déjà sorti de l’eau un congénère victime d’hypothermie. Mais son mantra reste : « Amuse-toi ! »
Mi-planche à neige, mi-planche à roulettes : voici le snowskate
Chaque année, ils sont toujours plus nombreux à débouler en ville, sur les pentes et dans les planchodromes : le skate des neiges, ou snowskate, permet aux amateurs de glisse de retrouver des sensations de planche à roulette, mais au cœur de l’hiver. À les voir virevolter, on se pose la question : qu’est-ce qui le différencie du snowboard ? Beaucoup de choses, annonce Sébastien Boisvert, fondateur de l’organisme d’animation Technical Skateboards, tandis que, dans son dos, une vingtaine de néophytes s’essayent à la discipline, à l’occasion d’une journée d’activités proposée à Rosemont.
Premièrement, aucune attache ne fixe le planchiste à son destrier, bien plus menu qu’une planche à neige. Deuxièmement, on peut le pratiquer un peu partout, à l’exception des grandes pentes de centres de ski. De toute façon, sa vocation n’est pas de dévaler des verticales tout schuss.
Le snowskate est plus orienté vers le freestyle que vers la descente. C’est un sport où tu vas davantage en ligne droite pour viser un module.
Sébastien Boisvert, fondateur de l’organisme d’animation Technical Skateboards
Toujours derrière lui, sur la butte du parc Joseph-Paré, les deux moniteurs Mathieu Chouinard et Étienne Trudeau démontrent tout le potentiel de la planche, avec laquelle ils peuvent reproduire l’éventail de figures qu’ils pratiquent en skateboard : ollie, vrille (kickflip), rotation côté face (frontside 180)...
« C’est facile pour tous, et l’un des grands avantages, c’est que l’on a moins peur de tomber qu’en skateboard, puisque la neige amortit les chutes », souligne le responsable de Technical Skateboards.
Comme pour lui donner raison, une quinzaine d’enfants glissent sur la planche qui leur est prêtée, se cassent parfois la binette, mais remontent tout de suite en selle pour une autre chevauchée. Parmi eux, on retrouve Isaïa et Mateo, 5 ans et 6 ans, venus s’initier avec leurs parents. « On avait ciblé cette activité pour tester une nouvelle expérience », indique leur mère Taïs Fleury-Berthiaume qui, malgré une petite (et lointaine) expérience en planche à roulettes, s’est trouvée sortie de sa zone de confort. « On est un peu pris au dépourvu, parce qu’on ne sait pas trop comment freiner ou ralentir, mais ça donne le goût de réessayer plus longuement », confie-t-elle, pendant que son conjoint, Damien Olofio, lui, semble ne pas se poser de questions et passe comme un boulet de canon sur la pente adjacente, visiblement grisé.
L’équipement ? Fort simple, à commencer par une planche adaptée en plastique ou en bois laminé, recouverte d’un grippant sur le dessus et d’une plaque glissante rainurée (en P-Tex) en dessous (prévoir entre 100 $ et 200 $). Démonter les blocs-essieux (trucks) de sa planche à roulettes d’été ? Pas une bonne idée. « La neige s’accumulera sur la planche et, sans la base en P-Tex, on perdra de la glisse », prévient Sébastien Boisvert. Ce dernier recommande également de se chausser de souliers à semelle fine, « pour être le plus près possible de la planche » et gagner en contrôle et sensation.
Volley sur neige, quand l’hiver s’envole
Sur la rivière gelée de Sainte-Anne-de-la-Pérade, à deux pas des cabanes où les pêcheurs amateurs taquinent le poulamon, certains jouent aussi avec un filet et des lignes, mais c’est plutôt pour tenter d’attraper des ballons. Il ne faut pas la rater : la scène insolite ne se reproduit qu’une fois l’an, au mois de février, réunissant une dizaine d’équipes mixtes, chacune composée de quatre joueurs.
Ce tournoi bien particulier de volley-ball sur neige est organisé depuis maintenant 10 ans sous la houlette de Stéphanie Leduc, enseignante au primaire et grande sportive engagée, en marge du fameux Festival des petits poissons des chenaux. « Le responsable des activités savait que j’étais très impliquée dans mon village natal de Sainte-Anne-de-la-Pérade, notamment avec l’organisation de tournois de baseball pour les jeunes. Il m’a approchée pour monter un évènement sportif, mais je n’étais pas prête à faire des parties de baseball sur neige. Je lui ai plutôt proposé un tournoi de volley-ball sur neige, qui se perpétue d’année en année », raconte-t-elle.
Le grand défi reste les installations pour la journée de ce tournoi amical : des poteaux de téléphone sont fichés dans la glace quelques jours avant, où leur base gèle, puis Mme Leduc installe un filet et des piquets avec une corde élastique pour délimiter le terrain. Si une couche de neige est présente, elle est tapée, mais certaines années elle laisse la place à la glace, comme lors de l’édition 2023. « Si le terrain est plus dur, les joueurs s’équipent de pads pour se protéger », dit-elle.
Les règles sont les mêmes qu’en volley-ball de plage, en 4 contre 4. On est moins mobiles en hiver, mais il y a quand même de très beaux jeux qui peuvent se faire.
Stéphanie Leduc, enseignante au primaire et grande sportive engagée
L’habillement, en pelure d’oignon, est aussi fonction des températures, avec manteau et mitaines en cas de froid (pas évident pour orienter ses manchettes !), mais beaucoup ont pu jouer mains nues cette année grâce à la clémence du mercure.
Les équipes, dont la plupart récidivent d’année en année, proviennent de la Mauricie (de Trois-Rivières, par exemple), mais certaines font la route depuis Thetford Mines. Mais à l’occasion de ce tournoi, ça passe ou ça glace : les participants ne s’entraînent pas en extérieur durant l’hiver sur une base régulière. Est-ce une chose que l’on pourrait voir s’implanter au fil des années, comme on le voit en Autriche ou en Suisse ? « Certains membres m’ont demandé comment ça fonctionne pour l’organisation et créer une ligue d’hiver, ce serait le fun. Mais je suis un peu sceptique, j’ai quand même rushé la première année », concède Mme Leduc, qui souligne cependant que des installations avec un terrain et un filet mobiles, comme on en voit dans certains parcs en été, seraient envisageables.
Même Montréal se montre timide ; les premiers tournois hivernaux organisés l’an passé au parc La Fontaine et dans Griffintown n’ont pas remis le couvert en 2023, puisqu’ils avaient été provoqués par la fermeture des gymnases en janvier, nous fait savoir son artisan, Narcissé Nguyen, qui espérait pourtant voir l’expérience se renouveler et le nouveau sport se propager. Une si belle façon de smasher l’hiver...
Appel à tous
Et vous, pratiquez-vous une activité sportive habituellement réservée aux beaux jours en l’adaptant aux conditions hivernales ? Faites-le-nous savoir, photos à l’appui.
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