Trois kayakistes américains et un Écossais ont réalisé un exploit l’été dernier en étant les premiers à réussir la traversée du passage du Nord-Ouest, à force humaine, en une seule saison. Un seul problème : on vient de les accuser d’avoir violé la loi canadienne en campant illégalement dans un refuge d’oiseaux migrateurs.

Ils s’exposent à des amendes salées. Mais surtout, cet accroc ternit sérieusement leur prouesse. Et cela montre que les aventuriers doivent se soumettre aux règles, comme tout le monde.

« C’est compliqué pour les gens qui partent faire des aventures, reconnaît une spécialiste des expéditions polaires, la cinéaste Caroline Côté. Les parcs canadiens, c’est méga protégé, et ce, pour de bonnes raisons. Il y a aussi les terrains privés à respecter. Il faut demander plusieurs permis. Moi, je m’y prends un an d’avance et parfois, ce n’est pas assez. »

PHOTO DAVID GOLDMAN, ASSOCIATED PRESS

Un iceberg flotte au large de l’île Bylot.

Au tout début de leur expédition, en juillet 2023, les kayakistes américains West Hansen, Jeffrey Wueste et Eileen Visser et l’Écossais Mark Agnew devaient pagayer à travers un passage entre l’île Bylot, qui fait partie du parc national Sirmilik, et la Terre de Baffin. Le passage était toutefois bloqué par les glaces. Après deux semaines d’attente, ils ont décidé de contourner l’île Bylot par le nord, un trajet beaucoup plus long qui nécessitait des nuitées sur la terre ferme. Or, l’île Bylot est un refuge d’oiseaux migrateurs, il est interdit d’y accoster ou d’y camper sans permis.

Il est également interdit d’avoir une arme à feu en sa possession dans un parc national. Des permis peuvent être accordés à certaines catégories de visiteurs pour se protéger contre les ours polaires, mais il faut répondre à des critères bien précis.

Les aventuriers, les Arctic Cowboys, n’ont obtenu aucun de ces permis. Sur leur blogue, ils n’ont pas mentionné cette question. Ils ont simplement fait savoir qu’ils fermaient leur localisateur satellite pendant quelques jours « pour des raisons de sécurité ». Ils l’ont réactivé après avoir passé l’île Bylot.

Un peu plus d’un mois plus tard, le 25 août, lors d’une escale à Cambridge Bay, les kayakistes se sont fait arrêter et ont été interrogés par des officiers de Parcs Canada et de la Gendarmerie royale du Canada avant d’être relâchés. Encore une fois, les aventuriers n’ont pas fait état de cet incident dans leur blogue, préférant parler de la générosité des habitants.

CARTE TIRÉE DU SITE INTERNET DE PARCS CANADA

On voit sur la carte l’île Bylot.

Les Arctic Cowboys ont atteint leur but, Bathurst Inlet, le 8 octobre 2023, après une expédition de 83 jours. Le média spécialisé ExplorersWeb a salué cette réussite en leur accordant le titre de deuxième expédition de l’année.

Toutefois, en novembre dernier, la Couronne a déposé 45 chefs d’accusation contre chacun des kayakistes en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada et de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. Les quatre aventuriers doivent comparaître à Iqaluit le 5 février prochain.

ExplorersWeb n’a pas apprécié ces développements.

« Le périple des Arctic Cowboys était une des expéditions de kayak les plus impressionnantes des dernières années, écrit le journaliste Ash Routen. Toutefois, le mépris des lois locales a terni leur succès. ExplorersWeb ne peut cautionner cela, pas plus qu’il ne peut saluer une ascension difficile sur une montagne interdite au Bhoutan. Le monde naturel, même aux confins de l’Arctique, n’est pas simplement une scène pour la poursuite des objectifs des aventuriers. »

Pas évident sur le terrain

Frédéric Dion, qui a accompli plusieurs expéditions en terres polaires, indique toutefois qu’il n’est pas toujours facile de suivre les règles à la lettre. Il donne l’exemple d’une expédition de kayak à Glacier Bay, en Alaska, après une séance d’information complète avec les autorités du parc.

« Une fois que tu es lâché lousse sur le terrain, avec ta carte, tes notes et ton souvenir de ce que tu as lu et entendu, tu arrives devant une île et tu te demandes si tu as le droit de coucher dessus. Avec la marée, le courant, le vent, et tout plein de facteurs, tu vois que ça a l’air facile sur papier, mais qu’en réalité, ce n’est pas évident. »

Toute la procédure pour obtenir des permis peut être complexe et prendre du temps. Frédéric Dion raconte comment il a dû aller chercher des permis de chasse pour des expéditions de survie en nature, pour finalement ne tuer et manger que deux écureuils en une semaine.

« Tu te demandes parfois si ça en vaut la peine. La réponse est oui. Il y a une part d’image publique là-dedans : je ne pourrais pas faire ces aventures et les diffuser sans être dans les règles. J’ai un devoir. »

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