Depuis le début de la reconstruction du Canadien, il est de bon ton de commenter ses performances comme s’il s’agissait du bricolage d’un enfant de 6 ans. Les beaux traits sont magnifiés. Les défauts sont ignorés.

Le Tricolore s’incline après avoir laissé filer une avance de trois buts ? On retient le but de Cole Caufield. La défense s’écroule et accorde 45 tirs ? Voyez comme Arber Xhekaj joue avec confiance. Seize défaites en prolongation ? Quelle belle occasion d’apprendre pour les jeunes…

Entre adultes, peut-on se dire la vérité ?

La saison du Canadien a été à l’image de l’éléphant en origami que votre petit dernier a rapporté de l’école. Un peu tout brouillon. Attendez. Ce n’est pas un éléphant ? C’est une fleur ? Ah bon. Désolé.

La saison du Canadien, disais-je, a été difficile. L’équipe a terminé au dernier rang de sa division. Elle a connu une seule séquence de trois victoires consécutives, contre neuf séries de trois défaites. Seize fois, elle a donné cinq buts ou plus dans une rencontre. Elle s’est aussi retrouvée parmi les 10 pires formations de la Ligue nationale pour les buts comptés, les buts concédés, le différentiel, le taux de réussite en supériorité numérique et l’efficacité en infériorité numérique.

Après, il est vrai que sur cette terre en jachère, quelques plants ont poussé. Que sur le plan individuel, il y a eu des réussites. Nick Suzuki a nettement progressé. À ses côtés, Juraj Slafkovsky s’est lui aussi grandement amélioré. Le jeune Slovaque est devenu un joueur productif et menaçant. Ces deux attaquants m’inspirent confiance pour la prochaine décennie.

Samuel Montembeault a confirmé son statut de gardien numéro un de l’organisation. Michael Matheson et Alex Newhook ont connu la meilleure saison de leur carrière. Chez les espoirs, Lane Hutson et Logan Mailloux ont démontré un potentiel excitant. Mais dans l’ensemble, collectivement, il reste encore beaucoup de travail à faire avant que le Canadien ne devienne un prétendant aux grands honneurs.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Matheson

Dans les bilans de fin de saison, mardi et mercredi, les joueurs et les dirigeants ont dit souhaiter que le club soit « dans le mix » pour la course aux séries dès l’année prochaine. À moins que le Canadien gagne la loterie ou qu’il acquière au moins deux attaquants d’impact, ça me semble être un objectif très ambitieux. Impossible ? Non. Les Capitals de Washington viennent de se qualifier malgré un différentiel de -37. Mais c’est une réussite hautement improbable.

N’oubliez pas que le Canadien paiera plus de 4 millions des salaires de Jeff Petry et Jake Allen, qui joueront ailleurs. Autant d’argent qui ne pourra pas être consacré à des renforts pour le deuxième trio.

Je m’inquiète aussi pour la santé de trois jeunes piliers de l’équipe.

À son retour au jeu, en octobre, Kirby Dach n’aura disputé que deux parties en 18 mois. Il a déjà été opéré à un poignet, à une épaule et à un genou, en plus d’avoir été victime d’au moins deux commotions cérébrales. Ça fait beaucoup, pour un jeune de 23 ans. Arber Xhekaj sera opéré à une épaule pour la deuxième fois en un an. Il passera l’été au complet en réadaptation. Dur pour le moral. Kaiden Guhle, lui, a révélé avoir subi deux commotions cérébrales cette saison, à seulement quelques mois d’intervalle. Une situation délicate pour un jeune défenseur qui se fait brasser match après match.

De façon réaliste, le Canadien devrait retrouver le chemin des séries d’ici trois ans. Jeff Gorton et Kent Hughes ont suffisamment d’espoirs, de jeunes défenseurs et de choix au repêchage en banque pour acquérir des renforts en attaque. Soit l’été prochain. Soit le suivant. Soit les deux fois. C’est ce qui me fait croire que le CH peut viser le top 15 de la LNH à moyen terme. La dernière fois que ça s’est produit, c’était en 2019. Claude Julien était l’entraîneur-chef, et la COVID-19 nous était inconnue*.

Dans ce scénario, dans trois ans, le Canadien aurait une équipe de calibre semblable aux Kings de Los Angeles ou aux Red Wings de Detroit. C’est tout à fait respectable. Mais pour passer au niveau supérieur, celui des prétendants répétitifs à la Coupe Stanley, il lui manque encore des pièces.

« On doit continuer d’ajouter [des joueurs], a convenu Kent Hughes en conférence de presse. Pour gagner la Coupe Stanley, on n’a pas l’alignement pour le faire aujourd’hui. Tout le monde ici est conscient de cela. C’est vraiment notre responsabilité, à Jeff [Gorton] et moi. Mais ce n’est pas quelque chose qui se fait en 24 heures. »

Des clubs qui ont commencé leur reconstruction avant le Canadien, comme les Red Wings, les Sabres de Buffalo et les Sénateurs d’Ottawa, ont constaté ces derniers mois la difficulté de rattraper le peloton de tête. Les trois rivaux de division du Tricolore ont repêché tôt à répétition. Ils misent tous sur un noyau de jeunes joueurs talentueux. La brigade défensive des Sabres, avec Rasmus Dahlin, Owen Power et Bowen Byram, est renversante. Sauf que ça reste insuffisant. Pas juste pour rivaliser contre les clubs d’élite de la LNH. Pour participer aux séries, tout simplement.

Pour atteindre le top 15 à moyen terme, et le top 10 à long terme, le Canadien devra renforcer substantiellement son attaque et trouver des solutions pour améliorer son jeu collectif en défense.

Il y aura des écueils. Plus l’équipe progressera au classement, plus elle s’éloignera des meilleurs espoirs du repêchage. Donc du talent d’élite. Aussi, la tendance des jeunes joueurs de préférer des contrats à long terme à des contrats-ponts pourrait exercer une pression importante sur la masse salariale du club. Finie l’époque où des vedettes montantes comme Victor Hedman, Nikita Kucherov ou Nathan MacKinnon constituaient des aubaines jusqu’à leurs 25 ans, ce qui donnait une marge de manœuvre à leurs patrons pour accélérer la reconstruction.

Tout cela met la table pour un été chaud à Montréal. Pour paraphraser Kent Hughes, ce sera l’été « le plus important » de la reconstruction… jusqu’au prochain.

*Lorsque le Canadien a atteint la finale de la Coupe Stanley, en 2021, il avait terminé la saison au 18e rang du classement général.