Combien y a-t-il d’entraîneuses d’équipes masculines de hockey au Québec ?

De l’avis général, très peu. « Lors de notre formation au début de la saison, j’étais la seule femme », raconte Véronique Dubé. « En une douzaine d’années, j’ai rencontré seulement une autre entraîneuse », enchérit Karine Sénécal. Et sur les 1000 matchs de mes fils, je n’en ai croisé que deux.

Le vrai chiffre ?

Attachez votre pyjama avec des bretelles.

Il y en a… 416.

Ça m’a paru énorme. « Êtes-vous certains ? », ai-je demandé à Hockey Québec. Vérification faite, le compte est bon, et il exclut les gérantes. Les plaques tectoniques sont bel et bien en mouvement. Lentement, mais sûrement.

Qui sont ces femmes qui entraînent des garçons ? Comment sont-elles arrivées dans le hockey masculin ? Comment ça se passe ?

Témoignages.

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La première fois que Kimberly Thériault a secondé son oncle derrière un banc, elle n’avait que 12 ans. « J’étais tellement passionnée que je l’accompagnais tout le temps. Je l’ai suivi jusqu’à ce que je quitte les Îles-de-la-Madeleine » pour jouer au collège Stanstead, puis au cégep Lionel-Groulx.

« Quand je suis revenue ici, après mes études, je me suis impliquée. J’ai fait deux ans dans le M11 AA. Cette année, je suis entraîneuse-chef dans le novice et adjointe dans le M13 AA.

— Avez-vous déjà vécu des préjugés ?

– Non. Il faut dire qu’aux Îles, nous formons une petite communauté. Nous sommes deux entraîneuses. Les gens ici nous connaissent depuis longtemps. Ils ont suivi notre parcours. En plus, je suis enseignante en éducation physique et j’ai une école de hockey. Ça m’a beaucoup aidée. »

Lysanne Bellefeuille-Désilets, entraîneuse des M13 à l’école secondaire La Découverte, à Saint-Léonard-d’Aston, a vécu une expérience semblable. « En région, on se connaît tous. J’avais déjà entraîné les filles quelques années. Je n’avais pas besoin de prouver qui j’étais. En plus, ma tante avait déjà coaché dans le junior AA, et mon cousin a joué pour les Cataractes de Shawinigan et les Patriotes de l’UQTR. Ce n’était donc pas étrange que je sois sur la glace. C’était comme pour n’importe quel papa, sauf que j’étais une maman. Ça s’est toujours bien passé. Je ne me suis jamais sentie jugée. »

PHOTO FOURNIE PAR LYSANNE BELLEFEUILLE-DÉSILETS

Les Broncos de l’école secondaire La Découverte, à Saint-Léonard-d’Aston, de l’entraîneuse-chef Lysanne Bellefeuille-Désilets

D’autres femmes ont toutefois reçu un accueil plus froid. C’est le cas de Marilyn Chadronnet, qui entraîne des garçons depuis sept ans.

« Plus jeune, j’ai toujours joué au hockey avec des garçons. Ensuite, j’ai étudié en technique de la petite enfance et en enseignement. Les enfants font partie de ma vie. J’ai commencé à m’impliquer avec les équipes des garçons d’une amie. J’avais 25 ans. Comme femme, tu dois faire ta place. Tu as de la pression. Tu la ressens. »

Au début, les autres entraîneurs ne me saluaient pas. Ils ne me prenaient pas au sérieux. Si j’affrontais une autre équipe, les arbitres allaient toujours rencontrer mes adjoints en premier. Quand mes assistants leur disaient que j’étais l’entraîneuse-chef, les arbitres semblaient toujours être surpris.

Marilyn Chadronnet

C’était plus facile à Hockey Sud-Ouest, précise-t-elle, car elle avait déjà joué au sein de l’organisation. « Les gens connaissaient mes habiletés et savaient que j’étais enseignante. Quand je suis allée à Châteauguay, j’ai dû rétablir ma crédibilité. Dans les premiers temps, je ne disais rien. On ne me parlait pas non plus. Je prenais les jeunes qui patinaient le moins bien et je leur apprenais des trucs. Un jour, après deux mois, j’apprenais à un enfant à patiner de reculons. Un homme est venu me dire : “Hey, tu as déjà joué au hockey, toi ? As-tu déjà coaché ?” Ça a pris du temps pour faire ma place. Mais tu vois, cette année, ils m’ont offert le poste de directrice du programme MAHG », le cours d’introduction pour les plus jeunes.

« Aujourd’hui, des parents veulent que je coache leur jeune la saison prochaine. Je pense que je suis bonne pour créer un lien d’appartenance dans l’équipe. Les jeunes sont là à tous les matchs et toutes les pratiques. J’aime les voir s’encourager. Être heureux quand un autre enfant compte. »

Après une carrière de joueuse, puis d’entraîneuse adjointe dans la NCAA, Karine Sénécal a fondé le programme féminin au cégep André-Laurendeau et dirigé des équipes masculines au collège Jean-de-Brébeuf – avec succès*. Quelques-unes de ses formations ont d’ailleurs remporté des championnats. Malgré son curriculum remarquable, elle aussi a dû croiser des regards incrédules.

PHOTO FOURNIE PAR JAMES HAJJAR

Karine Sénécal a fondé le programme féminin au cégep André-Laurendeau et dirigé des équipes masculines au collège Jean-de-Brébeuf.

« Avec les arbitres et les chauffeurs d’autobus, parfois, c’est plus difficile. Il y a des gens qui l’acceptent moins bien. Chaque fois, je me dis : j’espère que ce n’est pas parce que je suis une femme, mais je le ressens. Quand je coachais avec mon père, qui était mon assistant, des arbitres allaient naturellement vers lui. Il savait que ça me dérangeait. Il leur répondait : “Monsieur l’arbitre, c’est elle, la coach en chef.” Au début de ma carrière, c’était encore pire. On pensait que j’étais la physio. On me demandait : est-ce que je peux parler à un entraîneur ? Et bien le coach, c’est moi !

« Aujourd’hui, les entraîneurs des autres équipes me connaissent. Ils me respectent. Mes collègues à Brébeuf aussi. C’est numéro un. »

Si Karine Sénécal est revenue au Québec après une décennie aux États-Unis, c’est notamment parce que le chemin pour devenir entraîneuse-chef dans la NCAA s’annonçait rocailleux. « Très peu de femmes occupaient des postes d’entraîneuse en chef en première division. Pour y arriver, j’ai calculé que ça allait me prendre plus de 20 ans. Ça m’a déplu. En parallèle, Brébeuf, où j’avais étudié, cherchait un coach-prof. Ça m’a motivée. J’avais le goût de redonner à mon ancien collège.

Quand je coachais dans le bantam, j’aimais voir mes joueurs réussir des exercices que je considérais compliqués, comme des jeux truqués lors des mises au jeu. C’était satisfaisant. J’étais plus exigeante avec eux qu’avec les pee-wee, que je dirige depuis trois ans. Je suis peut-être un peu plus permissive avec les plus jeunes. Des fois, je trouve que j’ai des réactions de maman.

Karine Sénécal

Elle n’est pas la seule à se sentir ainsi. Kimberly Thériault affirme elle aussi avoir « un côté plus maternel ». « Les jeunes se confient plus à nous qu’aux hommes. En tournoi à l’extérieur, on a un gros rôle à jouer. On est comme la maman de tout le monde en même temps. »

Véronique Dubé, elle, dirige son propre garçon dans une équipe M13 des Laurentides. C’est sa première saison comme entraîneuse-chef. « Quand mon gars a commencé dans le MAHG, je suis allée donner un coup de main. J’avais déjà enseigné le patinage artistique. Un responsable m’a dit : “Tu es bonne avec les jeunes. Tu devrais passer ta formation d’entraîneur.” Je l’ai fait. Je suis restée assistante pendant plusieurs années. Puis l’automne dernier, l’association m’a demandé d’être entraîneuse-chef. Le cœur m’a arrêté. Je n’étais pas prête pour ça. J’avais le goût, mais j’étais aussi vraiment craintive. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Véronique Dubé, entraîneuse-chef des Montagnards M13B

Six mois plus tard, comment ça se passe ?

« Super bien ! Bon, je ne suis pas toujours la première à qui les marqueurs et les autres coachs serrent la main, mais l’accueil est bon. [Ma présence] suscite la curiosité. À la fin d’un tournoi à Mont-Laurier, une bénévole est venue me dire qu’elle était fière de voir une femme derrière le banc. C’est gratifiant. »

Véronique Dubé est particulièrement satisfaite de l’esprit de groupe qui règne au sein de son équipe. Je ne suis pas surpris. Vous souvenez-vous des Palettes roses, cette équipe de hockeyeuses amatrices qui a fait une tournée en France et en Suisse, l’année dernière ? La dynamo de l’équipe, c’était elle.

Relisez la chronique « On est trop fières, les Roses »

« Récemment, on affrontait les Prédateurs de Mont-Laurier. J’ai inventé une légende sur les Prédateurs, qui écrasaient des petites mésanges. Les Montagnards – notre équipe – devaient sauver les animaux. Les gars ont tellement embarqué ! »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Véronique Dubé

Comme Véronique Dubé, Murielle Lemaire a commencé à s’impliquer lorsque ses enfants se sont inscrits au hockey. « Tant qu’à être à l’aréna à 6 h, je me suis dit aussi bien être sur la glace. » Son expérience au hockey ? Nulle. Elle n’avait jamais joué.

« Sauf que j’ai une formation de physiothérapeute. Apprendre à marcher et à patiner, ça se ressemble. Les coachs m’ont demandé d’animer un atelier de patinage. Je pensais aider pendant quelques semaines, puis retourner dans les gradins. Mais non. Ils ont insisté pour que je reste. Je leur ai souligné que je ne savais même pas utiliser un bâton. “Pas grave. Tu l’apprendras en même temps que les jeunes !” »

PHOTO FOURNIE PAR MURIELLE LEMAIRE

Les Albatros de Trois-Rivières-Ouest de l’entraîneuse-adjointe Murielle Lemaire

Cinq ans plus tard, elle est toujours derrière un banc. Celui des Albatros de Trois-Rivières-Ouest M11, où elle s’occupe des défenseurs. « Comme je n’ai pas un passé de hockeyeuse, j’apporte une vision différente. Je vois certaines qualités chez les joueurs que d’autres ne verront peut-être pas. Je sors plus facilement des patrons déjà établis du sport. »

« Des défis dans une équipe, il y en a ! », conclut Lysanne Bellefeuille-Désilets. « Au-delà de l’enseignement du hockey, la pédagogie est vraiment importante. Il faut avoir le contact avec tous les jeunes. Peut-être que j’ai plus de facilité à créer des liens avec eux parce que je suis enseignante au primaire. Il y a plein de trucs en enseignement qui se prêtent bien à une équipe de hockey. » D’ailleurs, cinq des six femmes citées dans cette chronique sont des enseignantes.

« Après, quand tu réussis à créer un esprit de groupe, que la chimie s’installe et que tu vois les jeunes être fiers d’eux-mêmes, c’est super gratifiant. C’est la plus belle partie de ce qu’on fait. »

* Transparence totale : Karine Sénécal a entraîné un de mes enfants, qui a ensuite été son entraîneur-adjoint.