J’écoutais les experts à la télévision suranalyser l’échange de Tyler Toffoli avec la ferveur de théologiens débattant du sexe des anges lorsque mon regard s’est perdu dans la fenêtre.

Gros soleil. Joli ciel bleu. Invitant. J’ai décollé mes fesses du divan dans lequel j’étais calé depuis trop longtemps et je suis allé vérifier le temps qu’il faisait. Pas trop chaud. Pas trop froid. Juste frais. Merveilleux. J’ai enfilé mes nouveaux souliers de course aux semelles aussi blanches que les dents de Joe Biden, et je suis parti marcher dans la montagne.

Je suis revenu une heure plus tard.

Mes semelles étaient brunes.

Maudite saison de la bouette.

C’est une des périodes les plus moches de l’année. Celle où il y a autant de neige au sol que de feuilles dans les arbres. C’est-à-dire aucune. C’est trop tôt pour la pêche à gué. Trop tard pour la pêche sur la glace. Trop tôt pour jouer au baseball. Trop tard pour faire du ski de fond. Dans les rues, les nids-de-poule pullulent, la saleté s’accumule et les terrasses ne sont pas encore installées.

Meh.

Pourquoi je vous parle de ça, déjà ? Ah oui. Le hockey. Entre la saison de la bouette et la situation du Canadien, il y a un pas que mes nouveaux souliers me permettent de franchir allègrement.

C’est que le Tricolore se trouve lui aussi dans un entre-deux. Ni au début de sa reconstruction ni à la fin. Quelque part au milieu, dans une phase longuette.

Souvenez-vous des premiers jours du projet de reconstruction. Tout le monde était excité comme des enfants un jour de tempête de neige. Le Canadien était le courtier le plus populaire de la Ligue nationale.

Vous désirez un défenseur gaucher ? Voici notre plus beau modèle, Ben Chiarot. Une bête de travail. Mais dépêchez-vous, il partira vite. Un choix de premier tour ? Accepté. Vous aussi, vous en voulez un ? Il nous reste Brett Kulak. Un choix de deuxième tour, et il est à vous. C’est beau ? Allez, on signe ici.

Vous préférez un attaquant ? On a Tyler Toffoli et Artturi Lehkonen. Notre prix ? Un premier choix, ou l’équivalent. Les ententes se multipliaient. Le CH faisait rapidement le plein de premiers choix et d’espoirs.

L’été suivant, le CH a acquis Michael Matheson, Kirby Dach et repêché Juraj Slafkovsky. Pour bien des partisans du club, probablement même la majorité, la reconstruction était devenue plus amusante qu’une participation aux séries.

Sauf que dans les mois qui ont suivi, d’autres équipes ont décidé de reconstruire en même temps que le CH. Les Blackhawks. Les Coyotes. Les Ducks. Les Sharks. L’offre de vétérans a explosé, et dépassé la demande. Conséquence : les prix ont chuté. Petit krach. À partir de là, c’est devenu beaucoup plus difficile, pour le Canadien, de reproduire sa stratégie de 2022.

Il y a bien eu quelques éclaircies. Les Montréalais ont obtenu un choix de fin de premier tour pour Sean Monahan. Un retour honnête, considérant qu’il allait devenir joueur autonome sans compensation. Le CH a même été brièvement acheteur, lors du dernier repêchage, lorsqu’il a acquis Alex Newhook contre deux choix au repêchage. Mais dans l’ensemble, tout le monde conviendra que la reconstruction est pas mal moins grisante aujourd’hui qu’il y a deux ans.

Vendredi, date limite des transactions dans la LNH, le seul échange du Canadien fut celui envoyant Jake Allen aux Devils du New Jersey. C’était évidemment souhaitable pour mettre fin à l’insoutenable ménage à trois devant le but, et pour permettre à Cayden Primeau de jouer plus souvent que trois fois par mois. Mais si on prend un peu de hauteur, ça reste une transaction relativement mineure.

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Cayden Primeau

Le CH paiera près de 2 millions la saison prochaine pour se débarrasser d’un gardien substitut encombrant. En retour, il obtient un choix de deuxième ou troisième tour, selon le nombre de matchs que jouera Allen en 2024-2025. Sachez qu’un jeune repêché au troisième tour a une chance sur dix de devenir un joueur d’impact dans la LNH (200 points ou 10 000 minutes).

Cette transaction est semblable à celle qui a envoyé Joel Edmundson à Washington, l’été dernier, contre deux choix au repêchage. Le Canadien avait retenu 1,75 million de son salaire. Ça ressemble aussi au tour de passe-passe effectué avec Jeff Petry, l’été dernier. Au terme de deux échanges, le CH s’est retrouvé à devoir payer 2,3 millions à Jeff Petry pour deux saisons. En contrepartie, il a pu acquérir Nathan Légaré et un choix de deuxième tour. Le CH a ensuite refilé un joueur acquis avec Petry, le gardien Casey DeSmith, pour Tanner Pearson et un choix de troisième tour.

En résumé : depuis l’automne, le CH a payé quelques millions de dollars pour acquérir une demi-douzaine de choix répartis entre le deuxième et le septième tour. Des billets de loterie, quoi. Combien de ces espoirs joueront pour le club, un jour ? Si on se fie aux données historiques, pas beaucoup. Peut-être un ou deux. Par contre, Kent Hughes aura la possibilité de se servir de ces appâts pour conclure une transaction majeure, l’été prochain.

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Brendan Gallagher

Sinon, comme je l’expliquais plus tôt, le Canadien est coincé dans un marché défavorable aux vendeurs. C’est la raison pour laquelle David Savard et Joel Armia resteront à Montréal. Josh Anderson et Brendan Gallagher ? Leurs contrats albatros effraient les autres équipes. Autant de facteurs qui ont empêché le CH de regarnir sa banque d’espoirs avec des jeunes qui pourraient bientôt aider le grand club.

Voilà pourquoi le club est dans un entre-deux. Entre l’excitation des premiers jours de la reconstruction et ceux qui marqueront sa fin. Entre son hiver et son printemps. Dans sa saison de la bouette.

Patience, les beaux jours du Canadien reviendront.

Tout comme le soleil a toujours brillé en été au Québec.

Sauf une fois.

En 1816.

Mais on reparlera de ça une autre fois. Faut que j’aille nettoyer mes nouveaux souliers.