Où sont les lanceurs ?

Ça m’a frappé pendant le repêchage de notre pool de baseball, au bureau. Nous étions rendus au septième tour. Je cherchais un lanceur capable de travailler 200 manches, de retirer 200 frappeurs sur des prises ou de lancer des balles de feu.

Gerrit Cole ? Blessé.

Jacob DeGrom ? Blessé.

Max Scherzer ? Blessé.

Sandy Alcantara ? Blessé.

Clayton Kershaw ? Blessé.

Brandon Woodruff ? Blessé.

Le meilleur releveur des ligues majeures, Devin Williams, a le dos en compote. Le lanceur recrue par excellence dans la Nationale la saison dernière, Kodai Senga, a mal au bras. Même chose pour le champion en titre des retraits sur des prises dans l’Américaine, Kevin Gausman.

Découragé, je me suis rabattu sur un releveur. Un gars qui a l’œil du tigre. Jhoan Duran, des Twins du Minnesota. Sa balle rapide peut atteindre 104 milles à l’heure. Sa cassante, 100 milles à l’heure. En plus, il joue pour les Twins du Minnesota, une équipe que j’aime. J’avais trouvé mon homme.

Quinze minutes plus tard, les Twins annonçaient que Duran venait de se blesser, et qu’il allait rater les premières semaines de la saison.

AAAAAAAAAAAAAAAARGH.

Jamais, dans l’histoire des ligues majeures, n’a-t-on vu autant de lanceurs blessés qu’au cours des derniers mois. Ça dépasse l’entendement. J’ai une petite devinette pour vous. Combien de lanceurs ont dû s’absenter, l’été dernier, pour guérir une blessure ? 100 ? 200 ? 300 ?

Plus de 400. C’est, à quelques joueurs près, le nombre de lanceurs qu’il y avait dans les formations des ligues majeures lors du premier jour de la saison !

Euh… Monsieur le Chroniqueur… La courbe redescend, non ? Bien vu. On voit que vous avez l’œil du tigre, vous aussi. Mais attention. En 2021 et 2022, des dizaines de joueurs se sont retrouvés sur la liste des blessés parce qu’ils avaient reçu un diagnostic positif à la COVID. La saison dernière ? Presque pas. Seulement six fois.

C’est en isolant les blessures au coude, au bras ou à l’épaule que l’on constate l’ampleur du problème.

À qui la faute ? À tout le monde. C’est que les attentes des directeurs généraux, des recruteurs, des entraîneurs et les nôtres envers les lanceurs sont les mêmes. On admire les lanceurs puissants. Ceux dont les balles rapides font apparaître trois chiffres sur le radar dans le coin supérieur de notre écran de télévision.

Je plaide coupable. Lorsque Jhoan Duran affronte Aaron Judge, je passe au travers du sac de Tostitos avant la fin de leur duel de titans. Alors que si Judge se présente contre un lanceur de précision dont la rapide plafonne à 92 mi/h, je vais me contenter d’un quartier de clémentine – et rester bien calé dans mon fauteuil.

Cette puissance, vous l’aurez deviné, vient avec un sacrifice énorme.

La santé.

Ça fait des années que les experts soulignent que les lanceurs frôlent l’impossible. Qu’un jour, l’élastique éclatera. Eh bien, ce jour est arrivé. Le coude, l’épaule et les tendons éclatent. Littéralement. Voici quelques statistiques pour triturer votre cerveau :

  • La saison dernière, les lanceurs ont touché 595 millions US lorsqu’ils étaient blessés. C’est trois fois et demie le budget de Dune 2. C’est plus que la masse salariale totale de la MLS. En fait, c’est supérieur au produit intérieur brut de pays comme la Dominique, Tonga ou Sao Tomé-et-Principe !
  • Ces lanceurs ont raté un total de 32 330 journées de travail. Mis bout à bout, ça fait 88 ans.
  • Parmi les 20 lanceurs qui ont reçu au moins un vote pour le trophée Cy-Young l’année dernière, 11 ont déjà subi une opération au coude ou à l’épaule. Le gagnant dans la Nationale, Blake Snell, est même passé deux fois sur la table d’opération pour une intervention majeure de type Tommy John.

Toutes ces blessures ont un impact majeur sur le jeu et les stratégies. Vous remarquerez que les équipes sont beaucoup plus prudentes qu’avant. Beaucoup de leurs lanceurs sont désormais soumis à des limites strictes de lancers par match, ou de manches par saison. Des clubs ont commencé à tester des rotations à six partants, plutôt qu’à cinq, comme c’est la coutume depuis un siècle. L’idée, c’est de donner aux lanceurs une journée supplémentaire de repos entre deux départs. Les gérants ont également davantage recours aux releveurs plus tôt dans la rencontre.

Ces décisions nous forcent à réévaluer nos attentes et nos repères. Prenez la carte de baseball d’un lanceur, en 1986. Celle de Steve Carlton, par exemple. Au dos, vous trouverez ses statistiques dans de nombreuses catégories : les victoires, les défaites, les buts sur balles, les retraits sur des prises, etc. Mais aussi les matchs complets. Ainsi apprend-on qu’en 1972, Carlton avait mené la ligue pour les matchs complets avec 30.

Aujourd’hui ? Cette colonne de chiffres a disparu des cartes de baseball. Pour une bonne raison : elle est totalement futile. Le lanceur actif comptant le plus de matchs complets, Justin Verlander, n’en a que 26 – dans toute sa carrière !

La carte de Steve Carlton nous rappelle aussi l’endurance des lanceurs des générations précédentes. La saison de ses 38 ans, Carlton a lancé 283 manches. Une autre année, il a passé 346 manches sur le monticule.

Le meneur l’été dernier ? Logan Webb, avec… 216 manches. Ce n’est vraiment pas beaucoup. Ça l’aurait exclu du top 10 de toutes les saisons non marquées par un arrêt de travail, de 1900 à 2013.

Tout ça pour vous dire que pour gagner le pool de balle de La Presse, cet été, je devrai travailler plus fort. Être plus créatif. Surveiller chaque jour la liste des joueurs disponibles. Meh. Je m’ennuie de cette époque pas si lointaine où le 22 mars, j’étais tellement sûr de battre mes collègues que je pouvais dépenser la cagnotte à l’avance.

Mes prédictions (pas trop confiantes)

Ligue nationale – Est

  1. Braves d’Atlanta
  2. Phillies de Philadelphie
  3. Mets de New York
  4. Marlins de Miami
  5. Nationals de Washington

Ligue nationale – Centrale

  1. Cubs de Chicago
  2. Reds de Cincinnati
  3. Cardinals de St. Louis
  4. Brewers de Milwaukee
  5. Pirates de Pittsburgh

Ligue nationale – Ouest

  1. Dodgers de Los Angeles
  2. Diamondbacks de l’Arizona
  3. Giants de San Francisco
  4. Padres de San Diego
  5. Rockies du Colorado (celle-là, je suis confiant)

Ligue américaine – Est

  1. Orioles de Baltimore
  2. Blue Jays de Toronto
  3. Yankees de New York
  4. Rays de Tampa Bay
  5. Red Sox de Boston

Ligue américaine – Centrale

  1. Twins du Minnesota
  2. Tigers de Detroit
  3. Guardians de Cleveland
  4. Royals de Kansas City
  5. White Sox de Chicago

Ligue américaine – Ouest

  1. Astros de Houston
  2. Rangers du Texas
  3. Mariners de Seattle
  4. Angels de Los Angeles
  5. Athletics d’Oakland (une certitude)