« Déçu », « usé », Jocelyn Thibault quittera de façon prématurée la direction générale de Hockey Québec, en juin prochain.

Au cœur de sa décision ?

Un conflit contre la moitié des dirigeants des associations régionales, qui résistent aux règles de bonne gouvernance que l’ancien gardien du Canadien tente de leur imposer depuis un an.

« Tout le monde est un peu maître chez lui », s’est désolé le DG démissionnaire lors d’une rencontre de presse, jeudi après-midi. « Quelque part, quand tu te trouves à une certaine hauteur dans la structure, comme gestionnaire, tu n’as plus de contrôle – ou très peu – sur les coups de volant que tu veux donner, sur les directions où tu veux aller. »

Pour illustrer la situation insoutenable dans laquelle il se trouvait, Jocelyn Thibault a multiplié les métaphores. « Tu as l’impression d’être dans une chaloupe pas de rames, dans une mer très agitée. C’est un sentiment assez particulier pour un gestionnaire. » Ou encore : « On se doit de mettre nos bâtons dans le milieu et de jouer en équipe. On se doit de travailler ensemble et de se rendre des comptes. D’avancer avec une certaine cohérence et une reddition de comptes. »

En une image, de moi, celle-là : les seigneurs régionaux désirent conserver leurs châteaux forts. Ils veulent continuer d’entretenir leur petite cour, dans laquelle les cliques pullulent. Avec le résultat que la fédération se sent très loin de ses membres. Trop loin.

« Dans les régions, c’est difficile, explique Jocelyn Thibault. C’est difficile d’amener notre réseau dans la modernité pour une saine gouvernance. Je suis un gars de structures. Que ce soit dans une équipe de hockey ou dans une entreprise, la structure, c’est tellement important. Tout part de là. On a du travail à faire [ici]. Ce n’est pas le travail qui me fait peur. Ce qui a fait pencher la balance, c’est que comme premier dirigeant de l’entreprise, tu as vraiment l’impression d’être dans un champ de mines. Il n’y a pas de prévisibilité. C’est extrêmement difficile. Tu es constamment en gestion de crise. On doit réussir à redresser la gouvernance partout. C’est un risque que je n’étais plus capable de prendre. »

Les tempêtes, convient-il, font partie de la vie d’un gestionnaire. Bon, une grosse averse de temps en temps, ça va. Mais une enfilade d’ouragans, comme c’est le cas depuis sa nomination, à l’automne 2021, c’est exténuant.

Moins d’un mois après sa nomination, le gouvernement Legault a mis sur pied un comité d’experts sur l’avenir du hockey. En parallèle, la pandémie a forcé l’annulation d’une saison complète. Puis il y a eu le scandale de Hockey Canada, la commission parlementaire sur les incidents dans le junior, ainsi que cette difficile réforme des règles de gouvernance.

« Jocelyn a eu un mandat assez particulier, reconnaît le président du conseil d’administration de Hockey Québec, Claude Fortin. Il a su relever les standards à des niveaux supérieurs. Il a beaucoup fait progresser la fédération. »

Dans la limite de ses pouvoirs, ajouterai-je.

Jocelyn Thibault le confirme : il ne possédait pas « tous les leviers » pour réaliser toutes les modifications qui s’imposaient. Notamment pour « dépolitiser les opérations hockey ». Il a complété ce chantier au sein de la fédération, où le mandat des membres du conseil d’administration est maintenant mieux défini. Mais il n’est pas arrivé à le faire partout dans le système.

« C’est un coup dur. Je n’ai pas l’habitude de ne pas terminer les mandats. D’autre part, il y a beaucoup de gens qui croient à la restructuration. Ça va se faire. Le conseil d’administration est très engagé. Je navigue quelque part là-dedans. Je suis déçu de ne pas être allé jusqu’au bout. Les deux dernières années ont usé le bonhomme un petit peu. On a eu des situations difficiles à traverser. Les gens qui me connaissent savent que je prends ça à cœur. »

Certains diront que j’ai peut-être manqué de patience. C’est un peu un de mes défauts. Mais c’est un marathon. Je suis convaincu qu’on y parviendra.

Jocelyn Thibault

Claude Fortin était déçu de bientôt perdre son complice des dernières années. « Jocelyn est une très bonne personne. Tout ce qu’il nous a dit lors de l’entrevue [d’embauche], il l’a mis en place : ses valeurs, ses principes, le jeune au centre des décisions. »

La ministre des Sports, Isabelle Charest, a tenu à « remercier très sincèrement Jocelyn Thibault pour son engagement et son dévouement » comme directeur général de Hockey Québec. « Nous poursuivrons le travail entamé avec toute l’équipe. »

Jocelyn Thibault s’est impliqué pour les bonnes raisons. Je reste convaincu qu’il était la bonne personne pour appliquer les recommandations du Comité québécois sur le développement du hockey, qu’avait présidé l’ancien joueur et analyste Marc Denis. Ses valeurs étaient en phase avec celles du rapport final.

« Confidence : je tiens à jour ce document-là sans arrêt. Les gens seraient très, très étonnés de voir tout ce qu’on a fait. [Mais] dans le rapport, on parle aussi du très peu de leviers dont dispose Hockey Québec. » Une des recommandations, c’était de confier à la fédération le pouvoir de gouverner et de guider l’avenir du hockey québécois. Ça grince encore.

« Je ne veux pas m’apitoyer sur le sort des régions. De façon générale, dans l’écosystème du hockey, Hockey Québec a très peu de pouvoir sur la structure. Il y a plein d’éléments qui sont difficiles à implanter. Mais dans ce qu’on contrôle, on en a fait beaucoup. J’en suis fier. »

La suite des choses ?

C’est Stéphane Auger qui lui succédera à la direction des opérations hockey. L’ancien arbitre de la LNH travaille déjà dans la boîte, comme responsable de l’arbitrage, de la sécurité des joueurs et de la réglementation. Un de ses grands succès, ces dernières années ? La fusion des trois ligues scolaires. Un autre chantier parsemé de bombes, qu’il a su déminer.

N’empêche, quelle déception, ce départ de Jocelyn Thibault. Il est le portrait type du gestionnaire passionné et dévoué que le sport québécois cherche et dont il a besoin. Que des présidents régionaux soient venus à bout de sa patience et de son enthousiasme, c’est déplorable.

Le hockey québécois ne sort pas gagnant de cette fronde.

Les jeunes non plus.