Qu’y a-t-il de plus abracadabrant qu’une saison de C’est comme ça que je t’aime ?

Le feuilleton de la lutte antidopage.

La réalité dépasse souvent la fiction. Prenez l’histoire la plus récente. Celle révélée samedi par la chaîne allemande ARD et le New York Times. Quelques mois avant les Jeux olympiques de Tokyo, en 2021, 23 des meilleurs nageurs chinois ont subi un test positif à la trimétazidine, un médicament prescrit en cas d’angines de poitrine et qui pourrait permettre aux athlètes de maintenir un rythme cardiaque élevé plus longtemps. Parmi ces athlètes, on retrouvait trois futurs champions olympiques. Pour leur défense, les nageurs ont invoqué avec succès l’alibi à la mode.

La contamination involontaire.

  • Zhang Yufei, médaillée d’or au 200 m papillon et au 4 x 200 m libre à Tokyo

    PHOTO ODD ANDERSEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Zhang Yufei, médaillée d’or au 200 m papillon et au 4 x 200 m libre à Tokyo

  • Yang Junxuan (au centre), médaillée d’or au 4 x 200 m libre à Tokyo

    PHOTO OLI SCARFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Yang Junxuan (au centre), médaillée d’or au 4 x 200 m libre à Tokyo

  • Shun Wang, médaillé d’or au 200 m 4 nages à Tokyo

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE BERNARD BRAULT

    Shun Wang, médaillé d’or au 200 m 4 nages à Tokyo

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C’est une stratégie populaire. Le sprinteur Ben Johnson l’a employée après son contrôle positif aux Jeux de Séoul. Il était convaincu que des stéroïdes avaient été versés dans sa bière à son insu. Le cycliste Floyd Landis a déjà justifié son taux élevé de testostérone par une consommation excessive de whisky. Un marcheur olympique a expliqué son contrôle positif à la nandrolone par un cunnilingus prodigué à sa femme enceinte. Quant à l’ancien champion du Tour de France, Alberto Contador, il a prétendu qu’un bœuf contaminé était responsable des traces de clenbutérol retrouvées dans son sang.

Des récits comme ceux-là, le Tribunal arbitral du sport en entend souvent. « La contamination, c’est le scénario qui est maintenant présenté par la plupart des athlètes », m’a précisé le directeur du Laboratoire de contrôle de dopage de l’Institut national de la recherche scientifique, le professeur Jean-François Naud.

Pourquoi ? Parce que les tests sont de plus en plus sensibles. De plus en plus précis. Les doses détectées sont de plus en plus petites. « Pour nous, au laboratoire, on ne peut pas toujours faire la différence entre une contamination et une fin d’excrétion d’un produit qui a été pris », explique M. Naud.

Cette stratégie de défense peut fonctionner. La championne de tennis Simona Halep vient de voir sa suspension être réduite de quatre ans à neuf mois après avoir démontré que son contrôle positif était dû à un supplément contaminé. Plus près de chez nous, la canoéiste Laurence Vincent-Lapointe a été blanchie d’accusations de dopage en faisant valoir que le produit trouvé dans son corps provenait d’un échange de fluides avec son ex-conjoint, qui aurait consommé du ligandrol.

Il peut être difficile de suivre toutes ces intrigues. De saisir toutes les nuances. De démêler la tricherie de l’injustice.

La multiplication de ces histoires encourage le cynisme. C’est d’ailleurs mon état d’esprit par rapport au dopage. La première chose à laquelle j’ai pensé, en apprenant l’absence de sanction contre les nageurs chinois, c’est à un grand jeu de tague dans lequel les joueurs n’ont qu’à toucher le poteau de la balançoire pour être immunisés…

Le dopage par contamination, est-ce vraiment possible ?

Oui, répond sans hésiter Jean-François Naud. Il y a des cas avérés. En 2011, lors d’une compétition internationale de soccer au Mexique, des joueurs de 19 équipes ont subi des tests positifs. La cause ? De la viande contaminée. En 2016, l’Agence antidopage des États-Unis a prévenu ses athlètes des risques d’échouer à un contrôle s’ils consommaient de la viande dans certains pays, dont la Chine. Peu avant les Jeux de Pékin, en 2022, l’Agence antidopage de l’Allemagne a demandé à ses athlètes de ne pas manger de bœuf en territoire chinois. On craignait des cas de contamination au clenbutérol, l’anabolisant utilisé pour engraisser les bêtes qu’on a retrouvé dans l’urine d’Alberto Contador, il y a 15 ans.

Vous aurez deviné que pour les athlètes propres, ces risques sont stressants.

« Je connais des athlètes qui conservent des échantillons de tout ce qu’ils mangent pendant 10 ans », m’a confié David Pavot, professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur l’antidopage dans le sport à l’Université de Sherbrooke.

Pardon ? Ils gardent des petits morceaux de tout ce qu’ils mangent pendant DIX ans ?

« Tout à fait. En dopage, une fois que l’athlète subit un test positif, la charge de la preuve bascule sur lui. Quand on avance l’excuse de la contamination, il faut parfois pouvoir remonter la chaîne alimentaire. C’est très, très difficile. »

Contrairement à une idée préconçue, une fois que l’accusation tombe, c’est archicompliqué d’être blanchi, comme l’a été Laurence Vincent-Lapointe. Le fardeau de la preuve est lourd. Les frais sont énormes. Il faut savoir que les athlètes ne peuvent pas être défendus par les experts qui travaillent dans un laboratoire certifié par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Ça restreint grandement le champ des possibles.

Seulement une poignée d’avocats se spécialisent dans la lutte antidopage.

Or, dans l’histoire des nageurs chinois, on n’a pas eu l’impression que la défense a été si compliquée. Au contraire. Tout s’est réglé rapidement – et facilement. Trop, d’ailleurs, au goût de plusieurs observateurs, dont les responsables américains de la lutte antidopage.

Que s’est-il passé, exactement ?

Lors d’une compétition présentée du 1er au 3 janvier 2021, l’Agence antidopage chinoise, Chinada, a testé quelques dizaines de nageurs. Chez 23 d’entre eux, on a trouvé des traces de trimétazidine. Pas en quantité suffisante, selon l’AMA, pour leur donner un avantage compétitif. Dans les faits, il y avait si peu de trimétazidine dans l’urine des athlètes que plusieurs ont reçu un test négatif la journée précédente ou suivante.

Tous ces nageurs, mentionne l’AMA, résidaient au même hôtel. Dans la cuisine de cet hôtel, les enquêteurs chinois ont trouvé des traces de trimétazidine. En plus, aucun des athlètes logés dans un deuxième hôtel n’a subi de contrôle positif. Cet alignement des astres a convaincu Chinada qu’elle n’avait pas affaire à une histoire de dopage, mais d’environnement contaminé. C’est pourquoi l’agence n’a accusé personne, n’a suspendu personne et n’a publicisé aucun cas. Des conclusions acceptées par l’AMA, qui n’a pas porté la cause en appel devant le Tribunal arbitral du sport.

« Si c’était à refaire, on ferait exactement la même chose », s’est défendu le président de l’AMA, Witold Bańka.

Vraiment ? Parce qu’ici, sur les lignes de côté, un doute persiste.

Entendons-nous que dans un monde idéal, l’AMA aurait dépêché des enquêteurs sur le terrain pour vérifier les affirmations et les hypothèses de Chinada. Malheureusement, un épisode de COVID-19 en Chine l’en a empêchée. L’AMA aurait-elle dû faire pression sur Chinada pour publiciser les cas en attendant les conclusions de son enquête ? Cette transparence aurait pu lui permettre d’éviter les accusations de camouflage dont elle est aujourd’hui la cible.

Plusieurs questions importantes restent par ailleurs sans réponse. En conférence de presse, lundi, l’AMA n’a pas précisé qui a introduit la trimétazidine dans l’hôtel ni en quelle quantité. Des journalistes y sont allés de remarques cinglantes. « Si je comprends bien, vous croyez Chinada, vous croyez les athlètes, mais vous avez été incapables de vérifier quelconque preuve sur place », a lancé un collègue français.

« Ce qui m’a surpris, commente Jean-François Naud, c’est qu’on n’a pas eu tant d’explications de la part de l’AMA. On reste un peu sur notre faim. On ne nous explique pas clairement quelle est la source de la contamination. Selon moi, si on n’a pas cette source, on ne peut pas parler de contamination. Il faut pousser plus loin. Peut-être que les autorités chinoises ont [la preuve]. Si c’est le cas, qu’ils la présentent devant le tribunal et qu’on nous prouve cette contamination. »

Autrement, la défense des nageurs chinois m’apparaît jusqu’ici tout aussi plausible qu’improbable.