À la direction générale de Hockey Québec, Jocelyn Thibault avait l’impression de s’aventurer dans « un champ de mines ». De se trouver « dans une chaloupe pas de rame, dans une mer agitée ». D’avoir « peu de contrôle sur les coups de volant » qu’il voulait donner.

Des images fortes qui, comme une grenade dégoupillée, ont retenu l’attention. Qui pose des mines dans le champ ? Pourquoi la mer est-elle agitée ? Quels sont les enjeux de gouvernance que Jocelyn Thibault a évoqués, sans les détailler, pour expliquer sa démission ?

J’ai parlé à sept sources bien au fait du dossier. Des personnes aux premières loges du conflit qui oppose la direction de Hockey Québec à une minorité des 14 présidents des conseils d’administration des associations régionales, communément appelés les « présidents régionaux ». Le différend commence par une question toute simple.

Qui doit décider ?

« C’est Hockey Québec », répond sans hésiter le président du C.A. de Hockey Montréal, Yves Pauzé. Pour lui, pas de doute. La fédération prend les décisions. La Commission permanente des régions (CPR), formée des présidents régionaux, est consultative. Bien sûr, c’est aussi la position de Hockey Québec. Or, ce rapport de force ne fait pas consensus. Il y a des présidents régionaux qui estiment que la CPR doit être décisionnaire.

Pour bien comprendre la relation entre les deux entités, imaginez le Canada. D’une part, vous avez le gouvernement fédéral. De l’autre, les gouvernements provinciaux.

Le fédéral, dans cette comparaison, c’est Hockey Québec. Les provinces, ce sont les associations régionales. Au sein du Canada, il y a des provinces très satisfaites du mode de fonctionnement. Elles suivent les instructions. Elles ne font jamais de vagues. Mais il y en a d’autres qui revendiquent plus de pouvoirs. Plus de champs de compétence. Plus d’indépendance. Elles détestent ça quand le fédéral met son nez dans leurs affaires.

Eh bien, on retrouve la même dynamique dans le hockey québécois.

Il y a des régions qui n’aiment pas les interventions de Hockey Québec.

Quelle est la plus grande source de frictions entre la fédération et les associations régionales ? Probablement le sujet le moins sexy qui soit.

La gouvernance.

Au printemps 2022, la ministre Isabelle Charest a imposé aux fédérations sportives de suivre un nouveau code de gouvernance. En parallèle, Hockey Québec a embauché une firme externe – BNP – pour revoir ses structures. Les deux décisions convergeaient vers un même but : moderniser les façons de faire.

C’est que nos organisations sportives, toutes disciplines confondues, s’apparentent trop souvent à des clubs sociaux. Avec les années, des cliques se forment.

Elles prennent le contrôle de l’association. Leur règne peut durer 5, 10, 20 ans. Même plus. La complaisance peut s’installer. Le copinage, le favoritisme et le népotisme, aussi.

C’est à cela qu’Isabelle Charest et Jocelyn Thibault ont décidé de s’attaquer. Parmi les bonnes pratiques identifiées : plus de diversité dans les conseils d’administration. Donc plus de femmes, plus de représentants des minorités, et l’ajout de membres cooptés, qui peuvent apporter une expertise complémentaire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre responsable du Sport, du Loisir et du Plein Air, Isabelle Charest

Hockey Québec prône également une séparation nette des pouvoirs. Dans sa vision, les membres des conseils d’administration doivent s’occuper de la stratégie et laisser les opérations courantes aux employés qualifiés. Les anglophones ont trouvé une jolie formule pour ça. Nose in, fingers out. Sachez ce qui se passe, mais laissez les employés faire leur boulot. Une règle élémentaire de saine gouvernance.

Quand Hockey Québec a demandé aux régions d’en faire autant, la pilule a mal passé.

Surtout pour la séparation des pouvoirs.

Un exemple entendu plusieurs fois : pensez à un président régional qui insisterait pour attribuer lui-même les heures de glace dans son coin de pays. Une tâche qui, normalement, devrait relever des opérations. En conservant ce pouvoir, fait-on valoir, le président pourrait entretenir un rapport de force avec les associations locales, chargées d’élire, vous l’aurez deviné, le président régional.

Un jour, Jocelyn Thibault est passé de la théorie à la pratique. Pour discuter d’un sujet lié aux opérations, il s’est adressé directement aux employés des associations régionales, plutôt qu’aux présidents régionaux. Des gens à la CPR n’ont pas apprécié de se faire contourner. Ils ont exprimé leur mécontentement. Le ton a monté.

À une autre occasion, Hockey Québec a modifié ses règlements pour mettre fin à une vieille coutume. Celle qui permettait aux membres de la CPR de choisir le président du conseil d’administration de Hockey Québec, en cas d’élection. Un privilège qui n’avait pas sa raison d’être, estiment des proches de Jocelyn Thibault. « Tout comme les franchisés des épiceries Metro n’élisent pas le président du C.A. de l’entreprise », me souligne-t-on. Cette décision a froissé bien des présidents régionaux.

Toujours sur le thème de la gouvernance, Jocelyn Thibault souhaitait une meilleure reddition de comptes des régions. Il en a d’ailleurs glissé un mot dans sa rencontre de presse, la semaine dernière.

En gros, Hockey Québec veut recevoir les états financiers et les procès-verbaux des associations régionales. C’était déjà prévu ainsi depuis plusieurs années. Or, pour toutes sortes de raisons, la fédération n’avait pas fait de suivi adéquat. Les associations avaient perdu l’habitude de rendre des comptes. On me dit que ce chantier est désormais sur la bonne voie.

Un autre point litigieux : la réforme de l’arbitrage.

Hockey Québec a voulu créer huit postes de coordonnateurs régionaux, payés par la fédération. Des présidents régionaux ont perçu ce geste comme un empiètement dans un de leurs champs de compétence. Là aussi, le ton a monté. Lors d’une réunion animée, l’ancien président de l’association du Bas-Saint-Laurent s’était rangé du côté de Hockey Québec et avait rabroué ses collègues réfractaires.

Voilà un aperçu de la « mer agitée » dont parlait Jocelyn Thibault dans sa rencontre de presse, la semaine dernière.

Maintenant, qui offrait de la résistance ?

Dans un article publié samedi, RDS a identifié trois associations. Celles du Lac-Saint-Louis, de Laurentides-Lanaudière et de l’Estrie. Ce sont trois des régions qui comptent le plus de membres au Québec.

Plusieurs sources m’ont confirmé que pendant le mandat de Jocelyn Thibault, les différends entre Hockey Québec, le Lac-Saint-Louis et Laurentides-Lanaudière étaient fréquents. Les présidents de ces deux régions n’ont pas répondu à mes demandes d’entrevue.

Jean-Pierre Fortier, président du C.A. du Lac Saint-Louis, a déclaré à RDS que dans sa région, « il n’y avait pas de résistance. On applique les orientations de Hockey Québec et on va plus loin. On est des innovateurs. Quand on avait de petites problématiques, on était capable de les résoudre rapidement ». Sa lecture des évènements n’est pas partagée par tous.

Hockey Québec a aussi eu des problèmes avec l’association de l’Outaouais, notamment en raison de la façon dont la région a géré des cas de racisme dans l’équipe M15 AAA des Intrépides de Gatineau, en 2021-2022. Dans un rapport d’enquête externe commandé par la fédération, l’avocat Jules Bernier s’était montré étonné que l’entraîneur-chef de ce club ait obtenu trois mandats « alors qu’il était toujours sous le coup de sa suspension de Hockey Québec ».

Dans les conversations que j’ai eues cette semaine, on m’a répété que Jocelyn Thibault insistait pour que les pratiques changent rapidement. Trop rapidement, selon plusieurs. L’ancien gardien du Canadien l’a lui-même reconnu la semaine dernière : la patience n’est pas sa plus grande qualité.

Après, mettez-vous dans ses souliers. Qui devait appliquer rapidement le code de gouvernance imposé par le gouvernement ? Lui. Qui avait la pression de mettre en œuvre plusieurs recommandations du rapport du Comité québécois sur le développement du hockey, présidé par Marc Denis ? Lui. Les attentes étaient élevées. L’urgence d’agir était là.

Tout cela, je le rappelle, dans un contexte de pandémie, de conflit et de résistance, au cœur d’une crise de confiance envers les organisations qui gèrent le hockey au pays.

Une tempête parfaite, que même le capitaine le plus motivé ne pouvait vaincre.