Qui croit toujours que Montréal est la ville d’un seul club ?

Plus de 50 000 personnes se sont rendues dans les stades et les arénas de la région, samedi, pour encourager une autre équipe que le Canadien. La Place Bell était remplie. Le stade Saputo était plein. Et au Centre Bell, où je me trouvais, 21 105 spectateurs ont assisté à la partie Toronto-Montréal de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), un nouveau record mondial pour une partie de hockey féminin.

J’étais à Toronto, en février dernier, lorsque l’ancienne marque avait été établie. C’était d’ailleurs lors d’un affrontement entre les deux mêmes équipes. Une belle soirée. L’ambiance était sympathique. Bon enfant. Mais samedi, au centre-ville de Montréal, nous sommes passés dans une autre stratosphère. La foule du Centre Bell était déchaînée.

« Lorsque j’ai entendu les applaudissements lors de la présentation des joueuses de Toronto, je me suis dit : “Holy Molly. Je ne peux pas imaginer ce que ce sera pour nous” », a raconté Marie-Philip Poulin. Deux minutes plus tard, elle a reçu la plus belle ovation de la journée. Taylor Swift serait venue chanter l’hymne national, ça n’aurait pas été plus bruyant.

Ça m’a rentré dedans. Ça donne des frissons. J’ai pris un moment pour regarder toutes les serviettes blanches dans les estrades. Les gens étaient debout [tout au long de la partie]. Dès que la rondelle dépassait la ligne rouge, c’était bruyant. C’était incroyable. Un moment que je n’oublierai jamais.

Marie-Philip Poulin

Un tir, une montée, un arrêt, les spectateurs réagissaient à tout, tout, tout. Même aux coups de bâton les plus anodins, dans l’espoir d’influencer les arbitres. Si vous avez déjà assisté à un match des séries éliminatoires de la Ligue nationale au Centre Bell, c’était comparable.

« Une des plus belles expériences de ma vie », a commenté Sarah Nurse, des Torontoises. Même discours de sa coéquipière Lauriane Rougeau, qui a grandi à Montréal. « Le premier spectacle auquel j’ai assisté, c’était ici. » Les Backstreet Boys, pour tout vous dire. « Je sais ce que peut être l’ambiance du Centre Bell. Aujourd’hui, c’était incroyable. Je sentais les vibrations. À la fin de la partie, en regardant la section dans laquelle étaient mes parents, j’ai eu les larmes aux yeux. »

La croissance de la LPHF est franchement impressionnante. En seulement quatre mois, l’équipe montréalaise est passée de l’espoir de remplir l’Auditorium de Verdun à une première salle comble, puis à jouer devant 10 000 spectateurs à la Place Bell, puis 21 000 au Centre Bell.

Le lien entre le club et son public, c’est plus qu’un flirt ou une amourette. C’est un coup de foudre intense, passionnel, fusionnel, qui a de véritables chances de déboucher sur une relation stable à long terme.

L’engouement envers la LPHF à Montréal s’inscrit dans un contexte plus large. Celui du début d’un âge d’or du sport féminin. Bien sûr, plusieurs femmes ont déjà marqué le sport au cours des 100 dernières années : Sonja Henie, Nadia Comaneci, Martina Navratilova, Serena Williams… La liste est longue. Mais les équipes féminines, à l’exception peut-être du onze américain au soccer, ont toujours eu du mal à rejoindre un vaste auditoire.

C’est en train de changer. Très, très vite.

La semaine dernière, la finale féminine du tournoi de basketball de la NCAA a été vue par 18 millions de téléspectateurs. C’est plus que la finale masculine (14,8 millions). C’est plus, aussi, que n’importe quel match de la LNH, de la NBA ou des ligues majeures de baseball dans la dernière année.

La Coupe du monde féminine de soccer de l’été dernier a généré des revenus d’un demi-milliard de dollars. Aux États-Unis, la popularité des matchs de volleyball féminin est en train d’exploser sur tous les campus. Même chose ici, d’ailleurs. Les volleyeuses de l’Université Laval et de l’Université de Montréal ont joué devant des salles combles, la saison dernière.

La LPHF fait partie de ce grand mouvement. Cette ligue a tout pour réussir. Pour s’enraciner. Pour créer un lien fort avec ses partisans. Elle mise sur un très bon produit. Elle compte sur les meilleures joueuses au monde. Ses représentantes sont des ambassadrices dévouées et accessibles, qui prennent le temps de convertir les amateurs un à un. Ici, en signant un chandail. Là, en donnant une rondelle ou un bâton.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le public de la LPHF est différent de celui du Canadien, du CF Montréal ou des Alouettes.

Il n’y a pas trop de matchs non plus. Le calendrier de 24 parties (32 l’an prochain) crée une rareté de l’offre et fait en sorte que chaque rencontre est un évènement. Le prix des billets est raisonnable. Ça permet aux parents d’initier leurs enfants au hockey féminin.

D’ailleurs, le public de la LPHF est différent de celui du Canadien, du CF Montréal ou des Alouettes. Ce qui m’a frappé, tant à Verdun, à Laval, à Toronto qu’au Centre Bell, c’est le nombre élevé d’adolescentes et de jeunes femmes dans la foule.

« Nous avons l’occasion de disputer des parties très importantes, a expliqué Sarah Nurse. Ce n’est pas tout le monde qui a cette chance. Nous pouvons vraiment changer le paysage du sport féminin. Aujourd’hui, nous avons battu un record d’assistance. Mais ça ne s’arrêtera pas ici. On veut continuer de repousser [les limites], et être capables de reproduire cela sur une base constante. »

Alors, des séries au Centre Bell, plutôt qu’à Verdun ou Laval ?

J’y crois.

Montréal est plus que la ville d’un seul club.