C’est la scène forte du documentaire Nos Amours : la saga des Expos, en salle vendredi. Stephen Bronfman présente à son père Charles, ex-propriétaire de l’équipe, les maquettes du stade qu’il souhaite construire au bassin Peel. Des images inédites qui vous feront rêver – ou pleurer.

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Stephen Bronfman montre les maquettes du stade à son père Charles, dans le film Nos Amours : la saga des Expos.

Les vues sont spectaculaires.

Ici, les gratte-ciel surplombent le terrain de baseball. Là, des enfants patinent sur l’esplanade Jackie-Robinson. « C’était un parc Jarry 2,0 ! », s’enthousiasme Stephen Bronfman.

L’ancien promoteur du retour des Expos m’accueille dans son bureau, au centre-ville de Montréal. Sur la table devant nous, les plus belles images des maquettes sont bien en évidence. Dans le film, on en voit quatre. Aujourd’hui, il m’en montre une demi-douzaine d’autres, jamais diffusées avant.

Les maquettes du stade dont rêvait Stephen Bronfman
  • Le stade de 29 072 sièges aurait eu la même configuration que le parc Jarry, où les Expos ont disputé leurs premières parties, à partir de 1969. Le projet prévoyait aussi 3000 places debout. Ç’aurait été le plus petit stade des ligues majeures (en termes de sièges mis en vente) après celui des Rays de Tampa Bay.

    PHOTO FOURNIE PAR STEPHEN BRONFMAN

    Le stade de 29 072 sièges aurait eu la même configuration que le parc Jarry, où les Expos ont disputé leurs premières parties, à partir de 1969. Le projet prévoyait aussi 3000 places debout. Ç’aurait été le plus petit stade des ligues majeures (en termes de sièges mis en vente) après celui des Rays de Tampa Bay.

  • Le stade aurait été construit sur le bord du bassin Peel, dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal. Près du champ gauche, on aperçoit des silos. Dans le film Nos Amours : la saga des Expos, Stephen Bronfman explique à son père Charles, ex-propriétaire de l’équipe, qu’il cherche un projet pour ces silos.

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    Le stade aurait été construit sur le bord du bassin Peel, dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal. Près du champ gauche, on aperçoit des silos. Dans le film Nos Amours : la saga des Expos, Stephen Bronfman explique à son père Charles, ex-propriétaire de l’équipe, qu’il cherche un projet pour ces silos.

  • La vue du stade vers le centre-ville de Montréal. Le stade aurait été situé à 30 minutes de marche de la station de métro Bonaventure. Le souhait était de le relier à une future station du REM.

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    La vue du stade vers le centre-ville de Montréal. Le stade aurait été situé à 30 minutes de marche de la station de métro Bonaventure. Le souhait était de le relier à une future station du REM.

  • L’esplanade Jackie-Robinson, qui devait servir de porte d’entrée pour les spectateurs. Jackie Robinson a joué pour les Royaux de Montréal, dans les années 1940, avant de briser les barrières de la ségrégation raciale dans les ligues majeures, avec les Dodgers de Brooklyn. L’esplanade devait être un espace multifonctionnel pouvant accueillir d’autres activités le reste de l’année.

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    L’esplanade Jackie-Robinson, qui devait servir de porte d’entrée pour les spectateurs. Jackie Robinson a joué pour les Royaux de Montréal, dans les années 1940, avant de briser les barrières de la ségrégation raciale dans les ligues majeures, avec les Dodgers de Brooklyn. L’esplanade devait être un espace multifonctionnel pouvant accueillir d’autres activités le reste de l’année.

  • Un autre point de vue près de l’esplanade Jackie-Robinson. Les promoteurs avaient l’idée de transformer l’espace en patinoire, l’hiver. Pour le stade, les architectes de la firme Populous préféraient le bois et le métal au béton.

    PHOTO FOURNIE PAR STEPHEN BRONFMAN

    Un autre point de vue près de l’esplanade Jackie-Robinson. Les promoteurs avaient l’idée de transformer l’espace en patinoire, l’hiver. Pour le stade, les architectes de la firme Populous préféraient le bois et le métal au béton.

  • Stephen Bronfman et ses partenaires souhaitaient que le stade soit utilisé toute l’année, plutôt que pour seulement 40 à 45 parties de baseball par saison. L’enceinte aurait pu accueillir des spectacles musicaux.

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    Stephen Bronfman et ses partenaires souhaitaient que le stade soit utilisé toute l’année, plutôt que pour seulement 40 à 45 parties de baseball par saison. L’enceinte aurait pu accueillir des spectacles musicaux.

  • Vue des gradins le long de la ligne du premier but, le soir

    PHOTO FOURNIE PAR STEPHEN BRONFMAN

    Vue des gradins le long de la ligne du premier but, le soir

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« C’était un stade intimiste. Les 29 072 sièges devaient être disposés exactement comme ceux du parc Jarry. Il y avait aussi 3000 places debout. » Ç’aurait été le plus petit stade des ligues majeures (en termes de sièges mis en vente) après celui des Rays de Tampa Bay, l’équipe qui désirait jouer la moitié de ses parties à Montréal. Le plan, c’était d’avoir plusieurs occupants.

Les Alouettes songeaient à s’y installer, me confirme-t-il. Dans un document de travail produit en 2020, la Classique hivernale de la Ligue nationale de hockey est mentionnée. « On voulait aussi accueillir des matchs de la Coupe du monde de soccer [de 2026]. On pouvait ajouter des sièges pour l’évènement. Pour les vues [sightlines], ce n’était pas optimal. Mais c’était possible de le faire. »

DOCUMENT FOURNI PAR STEPHEN BRONFMAN

Dans un document de travail de la firme Populous, daté de 2020, on voit trois autres configurations possibles pour le stade. Une pour les spectacles musicaux, une pour la Classique hivernale de la Ligue nationale de hockey et une pour les matchs de la Coupe du monde de soccer.

Le gouvernement du Québec adorait ce projet de 700 millions CAN. Tellement qu’il envisageait consentir un prêt sur 30 ans, indique Stephen Bronfman. D’ailleurs, dans le film, l’homme d’affaires fait l’éloge des élus québécois. « Ce qui est bien pour nous, les gens d’affaires, c’est que les politiciens en poste [à Québec] proviennent du milieu des affaires », dit-il au réalisateur Robbie Hart, qui le filme au volant d’une voiture décapotable dans les rues de Montréal. « Lorsque Pierre [Boivin] et moi rencontrons le ministre Pierre Fitzgibbon ou le premier ministre François Legault, ils nous comprennent sur-le-champ. » Dans notre entretien, il ajoute de bons mots à l’intention de la mairesse Valérie Plante, qui avait pourtant déploré le voile de mystère entourant ce projet.

« Il faut qu’ils nous montrent quelque chose absolument. Sinon, on jase, mais on jase de quoi ? », s’était-elle plainte en 2021. J’étais alors du même avis. Le manque de transparence du Groupe Baseball Montréal m’irritait.

Si Stephen Bronfman et ses partenaires refusaient de montrer les maquettes, c’est parce qu’ils ne voulaient pas brusquer les décideurs du baseball majeur. « Nous avons été très prudents. Nous avons suivi à la lettre les étapes du baseball majeur. »

Ironiquement, ce ne sont pas des groupes d’opposition ni des politiciens qui ont tué le projet, en janvier 2022.

C’est le baseball majeur.

Le film plaira aux Expositifs. Il entremêle l’histoire du club et la tentative de résurrection, avec des témoignages de partisans, de joueurs, de journalistes et des images d’archives.

Robbie Hart a commencé à tourner en 2012, lors du cri du cœur lancé par Warren Cromartie pour rapatrier les Expos à Montréal. Dans une scène émouvante, l’ancien voltigeur décrit une partie imaginaire, sur un terrain vague du centre-ville. « À ce moment-là, raconte le documentariste, le baseball ici, c’était mort. Warren nous a menés jusqu’au premier but. »

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Dans le film Nos Amours : la saga des Expos, Warren Cromartie imagine une partie de baseball sur un terrain vague du centre-ville.

« Le projet est vraiment né avec Warren, renchérit Stephen Bronfman. Pour moi, ce n’était plus dans les plans. Ça s’était mal fini, dix ans plus tôt, avec Jeffrey Loria et les poursuites contre le baseball majeur. » Bronfman avait fait partie d’un groupe d’actionnaires des Expos ayant poursuivi le commissaire Bud Selig pour fraude.

« Mon père était très proche de M. Selig. La fin des Expos a nui à cette relation. À la fin du mandat de M. Selig comme commissaire, je suis allé le visiter à New York. Il m’a dit : “J’aimerais vraiment voir le baseball retourner un jour à Montréal.” »

En 2015, Bud Selig a cédé sa place à Rob Manfred. En parallèle, les Blue Jays de Toronto venaient de remplir le Stade olympique avec des matchs préparatoires. « L’ambiance était positive, se souvient Stephen Bronfman. J’ai commencé à prendre le projet au sérieux. C’est là que j’ai été mis en contact avec [le propriétaire des Rays], Stuart Sternberg.

— C’est le baseball majeur qui vous a mis en rapport ?

— Non. C’est lui qui est venu vers nous. Il aimait beaucoup Montréal. Il venait ici discrètement. Il avait une idée en tête. Il a commencé à me dire combien il aimait le baseball, combien il aimait Montréal, combien il avait travaillé fort à Tampa pour bâtir son entreprise. Sauf que les gens ne venaient pas au stade. Il voulait faire quelque chose, sans arracher les Rays à Tampa Bay. C’est de là qu’est né le concept des villes sœurs. »

L’idée ? Une équipe en garde partagée. Début de saison en Floride, puis déménagement à Montréal après le Grand Prix du Canada, en juin.

La première fois, Stephen Bronfman n’était pas convaincu. « C’était tellement nouveau. Mais le baseball, c’est une industrie qui prend beaucoup de temps dans votre horaire de vie. Il y a 162 matchs, 81 à domicile. C’est beaucoup. En plus, à Montréal, on avait un peu gâché la fin. Comme promoteur, j’étais plus à l’aise avec l’idée de vendre 40 ou 45 parties. Ça diminuait les risques. »

Et si l’équipe s’était qualifiée pour les séries ? « Nous avions une entente pour jouer en alternance à Montréal et à Tampa. »

Transparence totale : je n’étais pas un partisan de la garde partagée, que j’ai critiquée à répétition. Mais Stephen Bronfman, lui, a fini par y croire mordicus.

« Le timing nous semblait bon. On sortait de la COVID-19. C’était une période triste. On arrivait avec un projet d’une grande ampleur, qui allait permettre de rebâtir un quartier et de créer 9000 emplois. Avec un club de baseball dans la division Est, avec New York, Toronto et Boston, ça aurait attiré beaucoup de touristes. Sauf qu’à la fin, tout est tombé. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Stephen Bronfman

Le 20 janvier 2022, le comité exécutif du baseball majeur a refusé le projet des villes sœurs. Ce jour-là, Robbie Hart était au côté de Stephen Bronfman, dans le bureau où nous nous trouvons aujourd’hui. Cette scène se trouve dans le film. « Stephen était dévasté », se souvient le réalisateur. L’homme d’affaires dit avoir vécu ce moment comme une « grande claque au visage ».

« Le baseball majeur n’est pas une ligue de grande croissance. Il a besoin d’avoir plus d’amateurs. Si tu lies Montréal à Tampa, Pittsburgh à San Antonio, Kansas City à Columbus ou Nashville, Oakland à Portland, tout d’un coup, tu as des millions de fans supplémentaires. Tu as plus de téléspectateurs. Pour moi, c’était vraiment une évidence [no brainer].

« Un problème, convient-il, était le timing. Sans la COVID-19, tout ce processus aurait eu lieu 12 ou 18 mois plus tôt. Là, c’est tombé en même temps que la négociation de la convention collective. Le commissaire Manfred, à la base, est un avocat en droit du travail. Il était impliqué [dans la négociation] à 100 %. Lorsque les gens de Tampa ont fait leur présentation, c’était le 25point à l’ordre du jour. Le vote a eu lieu à la fin de la journée. Quelques personnes étaient nerveuses que ce projet mette de la pression sur la négociation. »

Il croit aussi que des adversaires des Rays craignaient que l’équipe devienne plus compétitive. « Je me demande si quelques propriétaires n’avaient pas peur de Stuart. Ce gars-là est tellement efficace avec des moyens limités. Avec 50 % plus [de moyens], que fera-t-il ? Va-t-il nous écraser tout le temps ? Il y avait un peu de ça, aussi. »

Que s’est-il passé à Montréal depuis le refus ?

Rien.

« Nous avons bâti une très bonne réputation auprès des gens du baseball majeur, mais je ne leur parle plus vraiment. J’ai invité M. Manfred à la première du film. Il m’a répondu. Sauf que c’était trop compliqué en raison de l’ouverture de la saison. Je suis encore en contact avec Stuart Sternberg. Je lui ai envoyé un texto [Go Rays !] au début de la saison. »

Stephen Bronfman pense que les ligues majeures procéderont éventuellement à une expansion. « Elles regarderont la candidature de Montréal, car c’est la plus grosse ville [au Canada et aux États-Unis] sans équipe. Après, peut-on soutenir une équipe à temps plein ? » Il ne répond pas à sa question. « C’est rendu tellement cher… Notre projet était beaucoup moins cher. Ça fittait. »

Lorsque Robbie Hart a présenté le film pour la première fois à Stephen Bronfman, lors d’une projection privée à Mont-Tremblant, il était nerveux. « Stephen n’avait pas de droit de veto sur le contenu, mais j’espérais qu’il aime le film. »

Réaction de la tête d’affiche ? « J’ai adoré. Avec ce film, Robbie a fait un grand cadeau aux Québécois, mais à moi aussi.

« J’ai vu le film avec mon père. Je suis triste, m’a-t-il dit, mais pas pour moi. Pour vous. Votre groupe a mis tellement de cœur et de passion dans ce projet. Je lui ai répondu : “Je suis un grand garçon. Je sais que dans la vie, tout ne fonctionne pas toujours comme on le souhaite.” Il faut essayer. On a essayé fort.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Stephen Bronfman et Robbie Hart

« Quand j’étais jeune, je ne savais pas quoi faire dans la vie. Mon père ne m’a jamais poussé. Mais il m’a dit : “Mon fils, peu importe ce que tu choisis, essaie de le faire du mieux que tu le peux.” Dans ce projet, on a fait le meilleur travail possible. On n’aurait rien pu faire de plus… »

Le film Nos Amours : la saga des Expos sort vendredi dans huit salles de la région de Montréal.