Lorsque ses Marquis de Montréal fouleront le terrain du stade Gary-Carter pour leur match d’ouverture, samedi, Marie-France Castillo vivra un moment historique. Elle deviendra la première femme à diriger une équipe masculine M17 AAA, le calibre de jeu le plus élevé pour les Québécois de moins de 17 ans.

C’est une nomination exceptionnelle.

À quel point ?

Les dirigeants des Marquis ont cherché d’autres exemples d’entraîneuses-chefs à un niveau comparable au Canada. Sans succès. Ils ont demandé aux journalistes de la bible du baseball mineur, Baseball America, s’ils connaissaient une femme à la tête d’une équipe de finissants dans un grand programme scolaire aux États-Unis. Bonne chance, leur a-t-on répondu. Finalement, les Marquis en ont trouvé une seule – en Californie.

Je me doutais bien que j’étais la première femme au Québec à occuper ce rôle, confie Marie-France Castillo. Mais c’est quand j’ai commencé à recevoir des messages de félicitations de toutes parts que j’ai réalisé que c’était quelque chose de gros.

Marie-France Castillo

Le baseball, Marie-France en mange. « Mon père et moi, nous sommes de vrais maniaques. À la maison, la télé est toujours à MLB.TV. » Elle n’avait que 4 ans lorsque son père l’a inscrite dans une équipe mixte, à Laval. « En fait, j’étais la seule fille. » À partir de la catégorie moustique, elle a toujours joué dans le AA, avec les garçons. En parallèle, la jeune receveuse est aussi devenue un élément important de l’équipe féminine québécoise, et elle a permis à l’équipe junior du Canada de gagner une médaille d’or dans un tournoi des Amériques.

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Marie-France Castillo

« C’est une joueuse qui a toujours travaillé très fort et qui n’a pas eu peur d’évoluer avec les gars pour s’améliorer », se souvient l’entraîneur des Canadiennes lors de ce tournoi, André Lachance. « Elle avait une excellente présence derrière le marbre. Elle était très bonne pour diriger les lanceurs. »

« Ma force, c’était vraiment la défensive », convient-elle. C’est d’ailleurs en donnant des leçons privées à de jeunes receveuses qu’elle a développé un intérêt pour le travail d’instructeur.

Les receveurs, nous sommes un peu différents des autres joueurs. Nous sommes les seuls qui voient tout le terrain. Nous devons appeler les jeux. C’est pourquoi nous sommes souvent des leaders au sein des équipes. Ça m’a beaucoup aidée pour la suite des choses.

Marie-France Castillo

Bruce Bochy, Joe Torre, Buck Rodgers, Mike Scioscia, Joe Girardi, Bob Melvin, Ralph Houk : de nombreux receveurs ont poursuivi leur carrière dans le baseball en tant qu’entraîneurs-chefs. « Comme plusieurs receveurs, je pense qu’elle fera une bonne coach », croit André Lachance.

C’est l’ancien entraîneur de Marie-France dans le réseau scolaire, Danny Plante, qui lui a donné sa première chance comme entraîneuse-chef. C’était à l’été 2021. Les Orioles de Montréal cherchaient une personne pour diriger leur équipe bantam AA. « Elle m’avait déjà démontré ses qualités de leader sur un terrain. C’était aussi une belle façon de l’initier au programme, pour la promouvoir éventuellement dans le AAA. »

Marie-France, elle, n’était pas convaincue. « Je lui ai répondu : “Es-tu certain, Danny ? Je suis nouvelle dans le coaching.” J’ai hésité avant d’accepter. J’étais nerveuse. Ce qui me stressait beaucoup, c’était ce que les parents et les jeunes allaient penser. » Son père s’est proposé comme entraîneur adjoint. Deux mères de joueurs ont aussi offert leur aide. « Elles m’ont dit : “Occupe-toi du terrain, on va se charger du reste.”

— Et comment ça s’est passé ?

— Nous avons eu une année extraordinaire, de A à Z. À la fin de la saison, tous les parents m’ont remerciée. Je pense avoir apporté une vision différente. Tout au long de l’été, j’ai insisté sur l’importance du respect. J’y tenais, car comme femme, je désirais être respectée. Pendant la saison, on a joué un match hors concours contre des filles. J’ai prévenu les gars : “Ne les prenez pas à la légère !” Eh bien, les filles ont gagné. Les gars ont réalisé que les filles savaient jouer, elles aussi. Ils ont compris qu’il fallait respecter tous les adversaires. Après, on s’est rendus loin dans un tournoi et dans les séries. »

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Marie-France Castillo

En 2022, Marie-France est retournée sur le terrain comme joueuse pour une dernière saison. Elle a ensuite accroché ses crampons pour de bon, à 25 ans. Les Marquis l’ont recrutée comme spécialiste des receveurs, pour leur équipe M17 AAA. Là encore, ça s’est bien passé. L’automne dernier, Danny Plante et l’entraîneur-chef Claude Roy lui ont demandé ses plans pour la suite. « Je leur ai signifié que j’aimerais aller chercher plus d’expérience pour un jour devenir entraîneuse-chef. »

Leur réponse ?

« On pense que tu es rendue là. »

Selon Danny Plante, Marie-France possède plusieurs des atouts pour réussir.

Elle connaît bien son baseball. Elle gère bien ses lanceurs. Elle a une bonne communication sur le banc.

Danny Plante, ancien entraîneur de Marie-France Castillo dans le réseau scolaire

Elle a déjà dirigé la majorité des joueurs de l’équipe. Et nouvellement diplômée en kinésiologie, elle sera responsable du développement des athlètes dans le programme de sport-études des Marquis.

« Son parcours est très inspirant », s’emballe Rosalie Paquette, qui joue pour l’équipe féminine de l’Académie de baseball du Canada (ABC). « Quand j’étais en secondaire 1, Marie-France n’était pas là. Les hommes me parlaient d’une certaine façon. La saison suivante, c’était différent. Elle ne me parlait pas comme les autres coachs. Je me tournais plus vers elle, car nous avions plus de points en commun. Elle m’a ouvert l’esprit en me proposant de nouveaux objectifs. Elle m’a menée à un niveau plus élevé. C’est d’ailleurs elle qui m’a incitée à rejoindre l’ABC. »

« Dans notre sport, il y a vraiment peu de femmes », ajoute Juliette Raymond, qui évolue dans une équipe élite de softball. « Marie-France, c’est un exemple inspirant. Les coachs gars sont le fun. Mais elle, on sent qu’elle nous comprend différemment. »

Avant de se fixer des objectifs de carrière, Marie-France Castillo préfère prendre une bouchée à la fois. « C’est certain que j’aimerais coacher un jour dans le junior élite, ou dans un collège américain, ou dans les ligues mineures. Sauf qu’il y a vraiment beaucoup d’étapes avant de se rendre là. Je veux profiter de chaque moment. C’est un peu plate qu’il n’y ait pas plus de femmes dans des rôles d’entraîneur, car ça fait peu de modèles auxquels s’accrocher pour se rendre plus loin. Mais je pense que je peux devenir un pilier pour les prochaines femmes qui auront cette ambition. »