« Le grand patron va parler, les petits patrons se taisent /
Il a des plans et des idées, des millions sous sa chaise /
Toute sa vie est une affaire et tu en fais partie /
Si tu ne veux pas manquer d’air, garde un œil sur la sortie. »

– Tension attention, Daniel Lavoie

Tous les propriétaires d’équipe rêvent d’un directeur sportif comme Olivier Renard.

Le gars accepte de travailler avec un petit budget. Il enrichit ses patrons en vendant des joueurs à l’étranger. Ses formations restent suffisamment compétitives pour remplir le stade. En prime, il défend vigoureusement ses boss lorsque les partisans les critiquent.

« Quand je vois ce qui est écrit ou dit sur la famille Saputo, vous ne vous rendez pas compte de la chance de la ville d’avoir une famille comme [celle-là]. J’aimerais avoir une famille Saputo dans ma ville en Belgique. Une famille qui investit autant dans le soccer professionnel que local, et qui accepte de perdre de l’argent chaque année », avait-il confié l’année dernière.

Olivier Renard était débrouillard. Travaillant. Fidèle. Le bras droit idéal.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Renard

Pourquoi je parle de lui au passé ?

Parce qu’au moment de publier ces lignes, bien qu’Olivier Renard soit encore lié au CF Montréal, il n’est plus l’homme qui prend les décisions sportives du club. Le divorce doit être officialisé prochainement. L’ironie, c’est que si Olivier Renard s’en va, c’est à la suite d’un différend avec l’homme qu’il a le mieux servi.

Le propriétaire.

Joey Saputo.

Selon The Athletic, il y avait de la friction entre les deux hommes. Mon collègue Jean-François Téotonio1, qui couvre l’équipe à temps plein, rapporte qu’Olivier Renard et ses patrons ne s’entendaient pas sur le prochain contrat à offrir au meilleur joueur du club la saison dernière, Mathieu Choinière. On m’a par ailleurs informé que ces derniers mois, Joey Saputo avait recommencé à faire de la microgestion. Chassez le naturel, il revient au galop.

Ce n’est pas la première fois que Joey Saputo s’embrouille avec ses subalternes. Il s’est chicané avec Nick De Santis. Il s’est engueulé avec Wilfried Nancy. Il s’est plaint ouvertement des alignements de Jesse Marsch. À Bologne, son autre club, l’ancien président l’a traîné en justice, avant de conclure une entente à l’amiable. Le gourou du recrutement, Walter Sabatini, est lui aussi parti après une tempête. Lorsqu’un journaliste italien lui a demandé de décrire son congédiement, Sabatini a mis dans la bouche de son ancien patron des mots qu’il m’est impossible de reproduire dans un journal familial.

Joey Saputo aime avoir le dernier mot. L’opiniâtreté peut être une qualité. Sauf qu’à la longue, pour la personne à l’autre bout de la conversation, ça peut devenir lourd. Épuisant. Assommant. Si tu ne veux pas manquer d’air, garde un œil sur la sortie.

Le propriétaire du CFM est conscient de l’effet suscité par ses interventions. Je le cite, en 2018, à Radio-Canada : « Je dois changer ma façon de gérer. J’ai souvent pris des décisions personnelles plutôt que des décisions d’affaires. Je dois prendre du recul et moins gérer au quotidien. Je dois travailler sur ça. » Depuis, il a travaillé sur « ça ». Il a délégué ses tâches de président à Kevin Gilmore, puis à Gabriel Gervais. Pendant la pandémie, il a pris un bras de distance avec les opérations quotidiennes. Tellement qu’au stade Saputo, plusieurs craignent que son éloignement se traduise en indifférence. Que ses investissements chutent. Qu’il se désintéresse du club.

Une inquiétude légitime – que je ne partage pas.

Au contraire. Le différend avec Olivier Renard me convainc du contraire. Joey Saputo aime son équipe. Il veut la gérer. La contrôler jusque dans les moindres détails. Sinon, pourquoi intervenir dans l’évaluation du contrat d’un milieu de terrain qui demande grosso modo le salaire moyen d’un joueur de la MLS ? Oui, Joey Saputo en mène encore large au club. « [Les Saputo] sont très présents », soulignait Gabriel Gervais dans une entrevue à La Presse l’automne dernier. « Plus présents que les gens le pensent. Je vois le C.A. de façon périodique. Une fois par mois. C’est ce que la famille souhaite. Les grandes décisions sont prises de concert avec le conseil. Après, mon équipe exécutive et moi sommes imputables des décisions. »

Qu’on me comprenne bien : Joey Saputo est le propriétaire de l’équipe. C’est son entreprise. Il peut s’impliquer au niveau qu’il veut, avec l’intensité qu’il souhaite. C’est son plein droit. Il estime mieux connaître le soccer que les autres ? Soit. Peut-être a-t-il raison. Il veut faire les tâches du directeur sportif ? Transférer des joueurs ? Négocier avec les agents ? Se taper des heures de vidéo chaque semaine pour trouver une perle rare sous-évaluée au Québec, au Michigan ou en Californie ?

D’accord.

Mais qu’il en assume les conséquences. Qu’il nous explique ses signatures. Ses transactions. Ses mouvements de personnel. Qu’il rende des comptes aux partisans qui remplissent le stade. Qu’il s’expose à la chaleur dans la cuisine, comme ses anciens chefs l’ont fait, eux.

1 Lisez l'article « Olivier Renard quitterait le navire du CF Montréal »