Comment une rencontre entre quatre Québécois dans un café en Serbie a-t-elle permis à 120 entraîneurs d’enseigner le hockey à des jeunes en Inde, en Malaisie et au Kirghizistan ?

C’est une histoire d’exploration. D’amitié. De fraternité. Une aventure qui a des racines profondes ici même, à Montréal, et qui dure depuis près d’une quinzaine d’années.

Tout a commencé au printemps 2006. Jonathan Gautier, ex-premier choix dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, broyait du noir à Concordia. Une sévère commotion cérébrale l’empêchait de profiter pleinement des derniers mois de sa carrière universitaire.

« J’étais tout le temps blessé. J’ai rencontré mon coach, Kevin Figsby, pour lui annoncer que je voulais abandonner le hockey. Ça me faisait mal au cœur. Kevin m’a convaincu de rester encore quelques semaines dans l’entourage de l’équipe. » Ce que Jonathan a fait. À la fin de la saison, Kevin lui a présenté une offre.

« Jo, je connais quelqu’un qui a besoin de joueurs en Serbie. Ça te tente ?

— Tu veux dire, en Sibérie ?

— Non, non. En Serbie. »

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Un entraînement à Subotica, en Serbie

Un pays dont Jonathan ne connaissait pas grand-chose. Il ne savait même pas qu’on y jouait au hockey. Le défi l’intriguait. Ses études étaient terminées. Ses maux de tête avaient disparu. « J’ai dit oui. »

Ainsi s’est-il retrouvé à Novi Sad, une ville qui se remettait tout juste de la guerre en ex-Yougoslavie. Sur place, il a été accueilli par l’homme à tout faire du club local, le Québécois Fred Perowne. « J’étais joueur et entraîneur, comme Reggie Dunlop ! », s’exclame Fred, amusé. Le Sherbrookois avait deux autres compatriotes dans sa ligne de mire : l’ancien capitaine de McGill Daniel Jacob et l’attaquant Marc-André Fournier. Il était curieux d’entendre l’avis de Jonathan.

« Jo, Dan Jacob, tu en penses quoi ?

— La dernière fois qu’on s’est affrontés, on s’est battus… »

Fred Perowne est quand même allé de l’avant. Une fois rassemblés, les quatre Québécois se sont entendus à merveille. Ils se sont intégrés dans la communauté. Ils ont appris le serbe. « On a fait un effort conscient d’apprendre la langue, d’être respectueux, raconte Jonathan. Dès qu’on a fait les premiers pas, on a été accueillis à bras ouverts par tout le monde. Les gens nous invitaient chez eux pour célébrer la fête de tel ou tel saint. »

Une chaude journée de novembre 2006, les Québécois se sont attablés dans un café de la ville. Ils ont jasé de hockey. De la vie. De la chance qu’ils avaient de vivre une expérience si enrichissante. C’est à ce moment-là qu’est né l’esprit de Hockey sans frontières, l’organisme que Jonathan et Fred dirigent aujourd’hui.

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De jeunes hockeyeurs serbes s’entraînent à l’aréna de Novi Sad.

« Ce séjour en Serbie a changé ma vie, confie Jonathan. J’ai vu la game d’une façon différente. Notre souhait, c’était que le plus de gens possible vivent la même chose. L’élément déclencheur, c’est ça. »

Les cinq années suivantes, les gars ont galéré. Fred, Marc-André et Daniel ont joué pour l’équipe nationale de Serbie. Daniel est revenu ici pour entraîner l’équipe de McGill. Jonathan, lui, s’est trouvé un travail dans l’industrie du vin. En 2011, le quatuor a organisé des retrouvailles dans un appartement du Plateau-Mont-Royal. Ce jour-là, le projet dont ils avaient discuté à Novi Sad s’est précisé.

Hockey sans frontières allait lier des entraîneurs à des clubs dans le besoin. Pas aux États-Unis. Pas en Suède. Pas en Finlande. Dans des pays en manque d’expertise et de ressources. Pensez à La grande séduction, version hockey.

D’où est venue la première demande ?

De Serbie. Un ex-coéquipier voulait relancer le programme de hockey mineur à Subotica, une petite ville située près de la Hongrie. Le hic ? Le club ne roulait pas sur l’or. Il pouvait offrir le loyer et la nourriture, mais pas plus. Les entraîneurs recrutés par Hockey sans frontières allaient devoir payer leur billet d’avion, et travailler sans être rémunérés.

Deux Montréalais ont accepté.

Après, tout a déboulé. Hockey sans frontières a été contacté par des clubs de Bosnie. De Grèce. De Turquie. Du Mexique. D’Ouzbékistan. « Tout ça, de bouche à oreille, sans budget, précise Jonathan. On faisait des entrevues d’embauche. On vérifiait les antécédents. Certains coachs partaient trois semaines. D’autres, trois mois. Toujours de façon bénévole. »

Depuis, Hockey sans frontières a dépêché 120 entraîneurs dans 18 pays.

Justin Ducharme s’est rendu en Serbie. Le choc culturel a été total. « Je ne parlais pas la langue. Les connaissances de hockey des enfants étaient limitées. Mes exercices ne fonctionnaient pas très bien. En plus, c’était ma première expérience comme entraîneur. Ça prenait une capacité d’adaptation énorme. Ça m’a permis de grandir, d’apprendre l’importance du leadership et de la communication. Tu vois, aujourd’hui, je suis entraîneur dans une école secondaire. »

Nathan Shirley, qui jouait au hockey à l’Université Cornell, a contacté Hockey sans frontières après avoir vu une vidéo sur l’internet. Il a d’abord été déployé trois mois en Bosnie-Herzégovine et quelques semaines en Grèce. Dans un deuxième voyage, il s’est rendu en Asie centrale, notamment au Kirghizistan et en Ouzbékistan. Il y est resté cinq mois.

« Les parents, les enfants, les coachs, tous adoraient le hockey, se souvient-il. Ils connaissaient déjà bien le sport quand je suis arrivé. Les installations variaient d’un endroit à l’autre. En Bosnie, nous jouions sous une grande tente. En Grèce, dans un hangar. En Ouzbékistan et au Kazakhstan, nous étions dans des arénas de qualité financés par la KHL. »

C’était une expérience extraordinaire. Le plus satisfaisant, c’était de travailler avec les enfants. De les voir surmonter les défis. Ils jouent peu de matchs. Il n’y a pas toujours de saison. Des fois, ils jouent sur une demi-glace. Les pièces d’équipement sont de qualité variable. Mais ils étaient motivés. Ils voulaient apprendre.

Nathan Shirley

Ian Andersen, qui s’occupait de la vidéo pour Jacques Lemaire avec le Wild du Minnesota, a effectué deux longs séjours en Inde, sur les hauts plateaux de l’Himalaya, où les jeunes hockeyeurs s’entraînent sur des patinoires extérieures et des rivières glacées. Plusieurs photos qui accompagnent cette chronique sont tirées de ses voyages là-bas.

Hockey sans frontières en Inde
  • Quelques coups de patin sans bâton ni rondelle

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    Quelques coups de patin sans bâton ni rondelle

  • Une pause avant de retourner sur la rivière gelée

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    Une pause avant de retourner sur la rivière gelée

  • Un jeune hockeyeur prêt à jouer

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    Un jeune hockeyeur prêt à jouer

  • Pour certains, comme cette jeune patineuse, ça semble plus facile.

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    Pour certains, comme cette jeune patineuse, ça semble plus facile.

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« C’est une expérience qui marque une vie. Ça change vos perspectives sur le monde. Maintenant, quand je regarde les nouvelles, je connais des gens dans les pays dont on parle. Ça me touche davantage, même si c’est à l’autre bout du monde. Ça m’a aussi permis de me concentrer sur l’amour du jeu. Là-bas, quand tu te rends à la patinoire, tu n’as pas quatre trios et trois paires de défenseurs. Tu travailles avec ceux qui se présentent. Ça peut être des enfants, ça peut être des adolescents… Il y a moins de rigidité, et plus de passion. »

Hockey sans frontières avait le vent dans les voiles – jusqu’à ce que la pandémie frappe comme un ouragan.

Pendant le Grand Confinement, de nombreux pays ont fermé leurs frontières. Un seul entraîneur a pu partir à l’étranger. Et lorsque les voyages ont repris, la dynamique avait changé. Le coût de la vie avait augmenté. Les entraîneurs n’étaient plus tous prêts à payer leur billet d’avion pour travailler bénévolement pendant plusieurs mois. Hockey sans frontières, qui avait toujours fonctionné avec les moyens du bord, s’est mis à la recherche de partenaires.

Jonathan Gautier a rencontré le directeur général de Hockey Québec, Jocelyn Thibault. L’ancien gardien du Canadien lui a donné un conseil : « Si vous désirez avoir des partenaires et des commanditaires, vous devrez expliquer concrètement ce que les coachs qui reviennent au pays peuvent donner à leur communauté. »

Ainsi est née la version 2.0 de Hockey sans frontières.

Oui, les voyages sont toujours au cœur de la mission. L’organisme a des projets en Serbie, en Bosnie, en Inde et en Islande. Il travaille étroitement avec un ancien joueur du Canadien, John Chabot, pour développer le hockey dans plusieurs communautés du Grand Nord. « Cet hiver, nous avions trois entraîneurs avec les Premières Nations, raconte Fred Perowne. L’année prochaine, on aimerait monter à 10 ou 12. »

Mais Hockey sans frontières s’est aussi donné une plus grande ambition : améliorer le hockey. Ça passe par son nouveau programme de leadership destiné aux entraîneurs, et développé en collaboration avec le DMike Gauthier.

« On ne veut pas changer les rouages du hockey, explique Jonathan. On ne veut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. On veut huiler la chaîne qui est déjà en place. » L’organisme veut notamment aider les entraîneurs à surmonter des épreuves difficiles qu’ils ont pu vivre au hockey. « Les voyages, indique Jonathan, ça te sort de ta zone de confort. Tu affrontes des situations que tu ne verrais pas dans le hockey organisé. C’est notre cours de leadership sur les stéroïdes. »

Désormais, conclut Fred Perowne, « l’attention n’est plus mise sur le départ à l’étranger. Elle est sur le retour au pays ».