Nous voici à la mi-mars. Dans un mois, ce seront les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey. Sentez-vous la fièvre monter ?

Moi non plus.

C’était pareil l’année dernière. La saison précédente, aussi. C’est qu’il y a désormais un grand canyon entre les meilleures et les pires équipes de la LNH. Tellement qu’on connaît déjà presque toutes les équipes qui participeront aux séries.

Dans l’Association de l’Ouest, il y a autant de suspense que dans un combat de boxe opposant une gloire locale à un jambonneau sous-payé pour encaisser une commotion cérébrale. Personne ne menace les huit premières équipes au classement. Le plus proche poursuivant, le Wild du Minnesota, accuse un retard de six points sur la dernière place donnant accès aux séries.

Dans l’Association de l’Est, c’est un peu mieux. J’insiste : un peu. De façon réaliste, 10 clubs peuvent encore aspirer aux séries, quoique pour les Capitals de Washington, qui viennent d’échanger leur deuxième compteur, Anthony Mantha, ça risque d’être compliqué.

Ça signifie donc que 14 clubs ont très peu de chances de participer aux séries. Voire aucune. C’est presque la moitié de la ligue !

C’est atroce.

Pour les spectateurs. Pour les télédiffuseurs. Pour la ligue. Pour le sport, tout court. Dans les dernières semaines, les Ducks d’Anaheim, les Flames de Calgary et les Penguins de Pittsburgh ont cessé de vendre tous les billets pour les matchs locaux. Dans les derniers jours, les Sharks de San Jose ont joué quatre fois devant des foules maigrichonnes de 10 000 personnes. Autant de marchés dans lesquels le hockey est déjà une arrière-pensée, dans un moment phare de la saison.

Le pire, ce sera lorsque deux clubs de bas de classement s’affronteront, dans un match n’ayant aucune incidence sur le tableau des séries.

À Montréal, nous serons choyés. Le Canadien ne jouera que trois fois contre des adversaires déjà largués. Mais pour les partisans des clubs de l’Ouest, le dernier mois sera une longue agonie. Les Blues de St. Louis ont encore 10 parties contre des équipes faibles. Le Kraken de Seattle, 11. Les Sharks de San Jose ? 13 !

Comme l’a déjà démontré mon collègue Simon-Olivier Lorange dans une analyse statistique, jamais, dans l’histoire récente de la LNH, l’écart entre les meilleures et les pires équipes n’a été si prononcé. La tendance se poursuit. À qui la faute ? Aux nombreuses organisations qui ont toutes décidé de reconstruire en même temps, et dont les chantiers s’éternisent.

En soi, la stratégie de la reconstruction n’est pas nouvelle. Les Nordiques de Québec l’ont fait au tournant des années 1990. Les Penguins aussi, au début du siècle. Sauf qu’à l’époque, peu de clubs coulaient en même temps. C’est ce qui a permis aux Nordiques de repêcher trois fois de suite au premier rang, et aux Penguins de choisir quatre fois consécutives dans le top 2.

Aujourd’hui ?

On se retrouve avec près d’une dizaine d’équipes en reconstruction. Les meilleurs choix au repêchage sont mieux répartis. D’ailleurs, depuis le début de la pandémie, seuls les Ducks ont repêché deux fois parmi les trois premiers.

Trois premiers choix depuis 2020

  • 2020 : Rangers de New York, Los Angeles, Ottawa
  • 2021 : Buffalo, Seattle, Anaheim
  • 2022 : Montréal, New Jersey, Arizona
  • 2023 : Chicago, Anaheim, Columbus

Est-ce que cette nouvelle réalité retardera le retour à la compétitivité des équipes en reconstruction ? C’est fort possible. Les Ducks rateront les séries pour la sixième saison consécutive. Les Sénateurs d’Ottawa, pour la septième fois. Les Sabres de Buffalo, pour le douzième printemps consécutif.

C’est comme si la LNH était maintenant formée de deux divisions. D’un bord, les bons clubs. De l’autre, les mauvais. Entre les deux, il y a peu de mouvement. Bien sûr, les succès des meneurs sont attribuables à d’excellents repêchages. Mais si ces clubs restent si longtemps dans le peloton de tête, c’est aussi parce qu’année après année, ils se rendent attrayants auprès des joueurs autonomes, et qu’ils se renflouent en acquérant à bas prix de bons joueurs des équipes en reconstruction.

C’est un peu le principe de la saucisse Hygrade.

Plus les clubs de tête s’améliorent, plus l’écart se creuse.

Plus l’écart se creuse, plus il y a d’équipes larguées.

Plus il y a d’équipes larguées, plus il y a de joueurs disponibles.

Plus il y a de joueurs disponibles, plus les prix diminuent.

Plus les prix diminuent, plus les clubs de tête s’améliorent.

Comment briser ce cycle ?

Une solution serait d’augmenter le nombre de participants aux séries éliminatoires. Je sais, je sais, c’est une hérésie. Le système est parfait comme ça, a souvent répondu le commissaire Gary Bettman. L’argument pour le statu quo à 16 équipes, c’est que ça donne un sens à la saison. Et c’est vrai. Sauf que nous voici dans un scénario où avec encore cinq semaines au calendrier, près de la moitié des joueurs de la LNH planifient déjà leurs vacances à la mi-avril.

La ligue doit préserver l’intérêt des amateurs de hockey dans un plus grand nombre de marchés, le plus longtemps possible. Elle y parvenait, dans les années 1980, lorsque 16 des 21 formations participaient aux séries. Maintenant, c’est 16 sur 32. Un juste milieu doit être trouvé. Avec un tableau de 20 clubs, les Penguins, les Sabres, les Devils, le Wild, les Flames, les Blues et le Kraken seraient toujours dans le coup. Ça permettrait aussi à la ligue de récompenser davantage les champions de division, en leur donnant un laissez-passer au premier tour. Pour éviter d’allonger la saison, le premier tour pourrait être un deux de trois, et le suivant, un trois de cinq.