Comment des hockeyeuses amatrices des Laurentides, âgées de 30 à 60 ans, se sont-elles retrouvées à jouer devant 900 personnes, des Ultras et une mascotte… en France ?

C’est une histoire inspirante. Celle des Palettes roses, des joueuses d’une ligue de garage qui rêvaient grand. Leur projet ? Partir en tournée européenne, comme les Boys, dans le deuxième film de la série. La réalité, découvriront-elles, sera tout aussi divertissante que la fiction.

Tout commence en 2017, lorsque des mères de jeunes hockeyeurs des Laurentides se regroupent pour jouer au hockey, elles aussi. Elles ont peu d’expérience – voire aucune. « Mais nous étions enthousiastes et motivées », me raconte une des fondatrices du groupe, Renée-Claude Gélinas, autour d’une pizza froide à l’aréna de Sainte-Agathe-des-Monts.

Après une partie, elles se retrouvent au bar. Au détour d’une conversation, une joueuse lance une idée. Pourquoi ne pas aller disputer des parties en Europe ? Si les hommes des ligues de garage le font, pourquoi pas nous ?

PHOTO FOURNIE PAR LES PALETTES ROSES

La dynamo des Palettes roses, Véronique Dubé

C’était une bulle au cerveau. On n’y croyait pas vraiment.

Véronique Dubé, dynamo du groupe

Les joueuses contactent quand même des agences spécialisées dans les voyages sportifs, pour voir ce qui est possible. En 27 ans, leur répond-on, seulement une autre équipe féminine amateur du Québec est allée jouer en Europe. Le défi : trouver d’autres équipes de hockeyeuses plus ou moins expérimentées dans la quarantaine. Puis il y a l’enjeu des coûts. Pas question de partir et de laisser des joueuses derrière au Québec. Une pour toutes, toutes pour une.

Malgré les obstacles, les Palettes roses s’accrochent à leur rêve. Elles décident de lancer une campagne d’autofinancement. Elles vendent des billets de tirage. Elles emballent des épiceries. Elles organisent même une soirée de démonstration de produits érotiques. « Ouain. Cette fois-là, on n’a pas ramassé beaucoup d’argent », convient Véronique Dubé en riant.

« On a aussi fait un Ironman ! », me lance une joueuse au fond de la salle.

Un Ironman ?

« Attends, modère Véronique. On n’a pas fait le Ironman. On était bénévoles au Ironman ! Ça nous a quand même rapporté quelques centaines de dollars. »

La petite caisse grossit. Puis grossit. Puis grossit encore. Après deux ans, les Palettes roses font les comptes. Le montant de la cagnotte : 60 000 $.

La bulle au cerveau lancée autour d’une bière se concrétisera.

Le plan A, c’était la Scandinavie. Mais pendant le confinement, les Palettes roses ont eu beaucoup de temps pour réviser leur projet. Elles ont finalement préféré la Suisse et la France. « Ce sont deux pays francophones, et pour nous, c’était important de pouvoir échanger avec les autres joueuses », explique Renée-Claude.

Vingt-huit femmes se lancent dans l’aventure. À l’aéroport, Renée-Claude leur remet un petit bout de papier, sur lequel se trouvent les paroles de Je ne suis qu’une Palette, une adaptation de Je ne suis qu’une chanson, qu’elle a réécrite pour l’occasion.

Ce soir, au rythme de mon coup d’patin
J’ai tout donné jusqu’à la fin
C’est pas un rêve, j’peux enfin jouer
J’en suis encore tout énervée

Huit heures plus tard, les Palettes roses atterrissent en Suisse. Pour la moitié des joueuses, c’est un premier séjour en Europe. Le jour du premier match, dans un vieil aréna près de Neuchâtel, le choc est grand.

« À Sainte-Agathe, on joue sur une patinoire nord-américaine, explique Jocelyne Cloutier. Là, c’était une patinoire olympique. Déjà là, c’était une grosse différence. Nous étions en altitude, dans les Alpes. C’était difficile de respirer. Lorsque nous revenions au banc, nous étions épuisées. »

Ce jour-là, leurs adversaires sont peu nombreuses. Seulement cinq. Les formations sont mélangées. Mais les jours suivants, à Sierre et à Lausanne, les Québécoises rencontreront une opposition beaucoup plus costaude.

« Parce que nous étions canadiennes, les Suissesses pensaient que nous étions nées avec des patins dans les pieds, et que nous étions donc très fortes », explique Véronique Gareau. Les Suissesses se sont préparées en conséquence. Elles se sont monté de belles petites équipes – trop fortes pour les Palettes roses.

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Les Palettes roses se préparent à disputer un match en Suisse.

« Mais à Sierre, raconte Marilyne Meilleur, nous avons été accueillies avec classe. Nous arrivions d’une visite touristique. Nous avions déjà eu un dîner copieux, avec du vin. On avait bu beaucoup trop d’alcool pour aller jouer à l’aréna. Nous n’avions plus faim. Nous étions saturées. Sauf que les joueuses de Sierre nous attendaient avec de la raclette traditionnelle, à manger AVANT la partie. Elles avaient travaillé fort. On ne pouvait pas refuser. Alors on a mangé encore plus. Mettons que j’étais un peu chaudaille sur la patinoire. »

Pointage final :… Est-ce vraiment important ? Malgré la défaite, les Palettes roses ont apprécié l’expérience. « On perdait quelque chose comme 8-2, se souvient Stéphanie Léveillé. J’étais dans le fond de la patinoire. Une Suissesse d’à peu près 26 ans s’est approchée de moi. Juste avant d’arriver, elle a ralenti. “Vas-y, vas-y”, m’a-t-elle dit. Elle m’a laissée aller. J’ai ressenti une solidarité entre nous sur la glace. J’ai trouvé ça vraiment cool. »

Un autre jour, à Lausanne, les Palettes roses assistent à une partie entre le HC Lausanne et le club d’Ambri-Piotta. L’ambiance, dans la section des Ultras, est électrique. Avec leurs chandails roses, les Québécois détonnent. Après la rencontre, elles croisent l’ancien entraîneur-chef du Canadien Claude Julien, qui travaille maintenant pour Ambri-Piotta, puis elles se préparent pour leur prochain match, présenté ici même, dans l’aréna du HC Lausanne.

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Quelques joueuses des Palettes roses avec l’ancien entraîneur-chef du Canadien Claude Julien, à Lausanne

« Il y avait deux glaces dans l’aréna, raconte Julie Martel. La grande, sur laquelle venait de jouer le HC Lausanne. Et une petite sur le côté. Nous étions certaines que notre partie devait avoir lieu sur la deuxième glace. Mais non. Quand on nous a indiqué qu’on allait jouer sur la belle patinoire, je capotais. Pour moi, c’était comme jouer sur la glace du Rocket de Laval. Après, on s’est fait planter, mais bon, ce n’était pas grave… »

« Les Suissesses, c’était des petites jeunes, explique Véronique Dubé. Elles étaient beaucoup plus fortes que nous. Après une période et demie, il fallait mélanger les joueuses, tellement c’était déséquilibré. »

Après une demi-douzaine de parties difficiles en Suisse, il ne restait qu’un seul match. À Lyon, en France. Une rencontre extraordinaire, dont les Palettes roses parleront encore dans 25 ans.

L’année dernière, les Lyonnaises n’avaient pas de ligue. Si elles voulaient jouer au hockey, elles devaient se joindre à des équipes masculines. « C’est seulement lorsqu’elles ont su qu’on s’en venait qu’elles ont décidé de se fédérer et de créer une ligue, explique Véronique Dubé. Quand une de leurs joueuses nous a dit ça, je me suis mise à pleurer. Ça voulait dire que notre programme avait fait des petits jusqu’en France. »

La rencontre était prévue dans un aréna secondaire de Lyon. Mais les Françaises ont finalement réussi à réserver le plus grand aréna de la ville, la patinoire Charlemagne, un stade intérieur de 4200 sièges. Les Lyonnaises ont mis des billets en vente. Deux euros chacun. Elles en ont écoulé… 902 !

« L’ambiance était extraordinaire », s’emballe Renée-Claude Gélinas.

C’était complètement fou. Il y avait une mini section d’Ultras, qui jouaient du tambour. Quand on comptait un but, la foule tripait. Une spectatrice nous a même approchées pour savoir si elle pouvait acheter notre chandail. On se sentait vraiment comme des joueuses d’Équipe Canada.

Véronique Dubé

« Il y avait même une mascotte ! », ajoute Renée-Claude.

Une mascotte ?

« Oui, oui ! Nous avions toutes le gros sourire. C’était trop surréel. » À Sainte-Agathe-des-Monts, les Palettes roses jouent devant environ 10 spectateurs. Parfois même devant une seule personne, la mère d’une joueuse, qui a traversé l’Atlantique pour le match à Lyon. Les autres fans des Palettes pouvaient suivre la partie en direct sur la plateforme Twitch.

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La mascotte des Lyonnaises

Cette fois, l’équipe adverse était de la même force que les Québécoises. « Même calibre, mêmes valeurs aussi », indique Catherine Lanthier, qui a écopé ce soir-là de sa première pénalité en carrière. Elle s’est donc dirigée vers le banc des pénalités, rebaptisé « la prison », à Lyon.

« En entendant mon nom et le motif de ma punition, dans les haut-parleurs, je me suis dit : OK, je suis vraiment en train de me faire chicaner. En plus, ils ont donné mon nom complet : Catherine-Virginie Lanthier. Une seule personne sur la Terre m’appelle comme ça. Ma mère, quand elle me chicane. Mais j’étais heureuse d’être en punition. Les marqueurs m’ont même dit n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi souriant dans la prison ! »

« On avait l’impression d’être une très grosse équipe, ajoute Véronique Gareau.

« Penses-y. Il y avait 900 personnes. On ne revivra jamais ça. Cette soirée-là était parfaite. »

Isabelle Forget a compté un but pendant la rencontre. Encore aujourd’hui, elle en parle avec émotion. « Entendre son nom dans les haut-parleurs d’un grand aréna comme ça, c’est gros. Et puis, c’était notre septième match ensemble. Les liens se sont serrés. Dans les dernières minutes, je ne voulais pas que ça finisse. Ça allait trop vite. Je me disais : donnez-moi encore une autre période, s’il vous plaît… »

Mais toute bonne chose a une fin. Pointage final : victoire des Palettes roses, 8-3. Ou 9-3. Ça dépend des versions. Pas grave. À la fin, le pointage importait moins que l’expérience. De retour dans le vestiaire, une belle surprise attendait les Québécoises.

Huit bouteilles de champagne.

« C’était l’apothéose ! », s’exclame Nadine Pelletier.

« La fierté. La victoire. La fatigue. Le champagne. Il y avait un mélange de plein d’émotions, raconte Josiane Goyer. Je regardais toutes ces filles-là, et je me considérais comme très chanceuse d’avoir pu partager ces moments-là avec elles. »

Le match ayant pris fin à 23 h, les Palettes roses n’ont pas fermé l’œil de la nuit.

À cause de l’adrénaline ?

« Non. Parce qu’il fallait être à l’aéroport à 4 h 30 du matin ! », répond Véronique Dubé.

De retour dans les Laurentides, les Palettes roses ont repris leurs matchs, devant une poignée d’amoureux, d’enfants et d’amis. Elles s’occupent du programme des mini-Palettes, destiné aux jeunes hockeyeuses de la région. Et oui, elles ont commencé à planifier leur prochaine tournée internationale.

La destination ?

Hawaii !