Je n’ai rien oublié de cet extraordinaire moment : ma première journée de travail à titre de journaliste régulier de La Presse. C’était en 1988, il y a 35 ans cette semaine.

C’est fou à quel point notre « industrie sportive » a changé depuis cette époque. Parfois pour le mieux, comme l’éclosion de nos athlètes sur la scène internationale ; parfois pour le pire, comme le départ des Nordiques et des Expos.

Le Québec a ainsi perdu deux équipes obtenues à force d’audace et d’acharnement. Ce fut la fin de merveilleuses aventures.

Les Nordiques ont couru à leur perte. Au début des années 1990, l’idée de construire un nouveau Colisée a provoqué des conflits entre les parties prenantes plutôt que de s’imposer comme projet rassembleur pour tout l’est du Québec.

Quant aux Expos, existe-t-il dans toute l’histoire du sport professionnel nord-américain un club ayant été plus malchanceux ? Que serait-il arrivé si l’équipe avait remporté la Série mondiale en 1994 plutôt que de voir un conflit de travail stopper la saison à la mi-août ? Les Z’Amours étaient alors une puissance des majeures. Un triomphe aurait généré un élan exceptionnel pour la suite des choses.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

En 1994, les Expos de Montréal, avec notamment Pedro Martinez au monticule, étaient une puissance des ligues majeures. Un conflit de travail a mis un terme à la saison dans le baseball majeur à la mi-août.

Le transfert des Nordiques et des Expos dans des villes américaines a eu un effet direct sur le Canadien. L’équipe s’est retrouvée en situation de monopole dans le sport professionnel à gros budget au Québec.

Cette absence de concurrence a été néfaste, parce qu’elle a réduit les ambitions de l’organisation. Aujourd’hui, une simple participation aux séries éliminatoires est considérée comme un exploit. Le CH a réussi à diminuer les attentes des amateurs qui, désormais privés d’autres options, lui pardonnent largement cette absence de résultats.

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Quand j’ai commencé à La Presse, on comptait sur les doigts d’une main les Québécois s’étant illustrés aux Jeux olympiques. Quatre ans plus tôt, en 1984, Gaétan Boucher (patinage de vitesse longue piste) et Sylvie Bernier (plongeon) avaient accompli un exploit formidable en atteignant le sommet du podium.

  • Le patineur de vitesse longue piste, Gaétan Boucher, a récolté trois médailles (deux d'or et une de bronze) aux Jeux olympiques de 1984, à Sarajevo.

    PHOTO ARCHIVES, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Le patineur de vitesse longue piste, Gaétan Boucher, a récolté trois médailles (deux d'or et une de bronze) aux Jeux olympiques de 1984, à Sarajevo.

  • Jean-Luc Brassard a remporté la médaille d'or en bosses aux Jeux olympiques de Lillehammer, en 1994.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Jean-Luc Brassard a remporté la médaille d'or en bosses aux Jeux olympiques de Lillehammer, en 1994.

  • Nathalie Lambert (au premier plan) aux Jeux olympiques de Lillehammer, en 1994, où elle notamment a remporté une médaille d'argent au 1000 mètres en patinage de vitesse courte piste.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Nathalie Lambert (au premier plan) aux Jeux olympiques de Lillehammer, en 1994, où elle notamment a remporté une médaille d'argent au 1000 mètres en patinage de vitesse courte piste.

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Peu à peu, leurs exemples ont porté leurs fruits et nos athlètes ont émergé sur la scène internationale. Jean-Luc Brassard a donné le ton en ski de bosses, Nathalie Lambert et Marc Gagnon sur courte piste, d’autres ont suivi…

Leurs réussites ont eu un remarquable effet d’entraînement. Nos athlètes de la relève pouvaient enfin trouver des modèles inspirants parmi leurs compatriotes. Des gars et des filles d’ici leur montraient qu’ils avaient autant le droit de rêver qu’un Américain ou un Européen.

Québec inc. s’est mis de la partie. Des bourses ont été créées, le financement a augmenté. En 1996, Céline Dion a donné un spectacle afin de réunir des fonds pour l’élite montante. Cela a envoyé un message clé : appuyer financièrement nos meilleurs espoirs était une idée gagnante.

Aujourd’hui, si nos représentants n’atteignent pas leurs objectifs aux Jeux olympiques ou aux Championnats du monde, on évoque une déception. Cela donne la pleine mesure du chemin parcouru ! Si vous m’aviez dit en 1988 qu’on en arriverait là, j’aurais été sceptique.

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Notre manière de consommer le sport a aussi évolué. Premier constat, le prix des billets a grimpé en flèche. Il faut investir beaucoup de dollars pour assister à une rencontre du Canadien, par exemple. Toutes proportions gardées, c’était moins onéreux à l’époque. Des amateurs pouvaient s’offrir un abonnement de saison sans réhypothéquer leur maison.

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Il faut débourser beaucoup de dollars pour applaudir Cole Caufield et ses coéquipiers au Centre Bell.

En revanche, les matchs et les tournois sont devenus accessibles comme jamais. Ils sont presque tous diffusés et l’amélioration de la technologie rend l’expérience super agréable. Savourer une rencontre devant un grand écran plat, décider soi-même de revoir un jeu en pesant sur une touche de la télécommande, tout ça est assez exceptionnel, quand on y pense.

La libéralisation du pari sportif est la plus récente nouveauté, avec tous les dangers que cela représente pour l’intégrité de la compétition et la dépendance au jeu.

Il n’y a pas si longtemps, les ligues professionnelles refusaient d’établir des équipes à Las Vegas et se dissociaient du pari sportif. Aujourd’hui, la ville accueille des clubs de la LNH et de la NFL, et bientôt du baseball majeur. Le pari est devenu un centre de profits pour toute l’industrie.

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Combien de papiers ai-je écrits pour dénoncer la violence au hockey et rappeler les terribles effets des commotions cérébrales ? J’ai perdu le compte. Heureusement, la situation s’est améliorée depuis quelques années. Le nombre de bagarres a diminué dans la LNH et, sans surprise, les prédictions apocalyptiques – « les amphithéâtres vont se vider, les cotes d’écoute à la télé vont chuter » – ne se sont pas matérialisées. Bonne nouvelle, les équipes n’alignent plus systématiquement un matamore de service.

PHOTO MARK J. REBILAS, USA TODAY SPORTS

Le nombre de bagarres a diminué dans la LNH, les joueurs étant mieux informés des risques de blessure.

La Ligue de hockey junior majeur du Québec a adopté un règlement pour décourager les combats, et les résultats sont encourageants. Les joueurs, mieux informés des conséquences potentielles de recevoir une droite en plein visage, ont aussi cheminé. La nouvelle génération a grandi dans un hockey différent, et on voit déjà les résultats.

En revanche, du chemin reste à faire. Le récent coup de hache de Jacob Trouba, des Rangers de New York, nous le rappelle.

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Dès ma première semaine à La Presse, j’ai écrit trois articles sur des rénovations… au Stade olympique ! L’idée était de le rendre plus convivial lors des matchs des Expos et d’attirer un plus grand nombre d’évènements hors baseball. Une somme de 18 millions avait été dégagée.

ARCHIVES BANQ NUMÉRIQUE

Un des premiers textes de Philippe Cantin sur le Stade olympique, paru le 1er décembre 1988

Aujourd’hui, l’avenir du Stade est encore en suspens. Un nouveau toit ou pas ? Une modernisation des systèmes de son et d’éclairage ou pas ? Les Expos sont disparus, mais l’œuvre de Roger Taillibert alimente toujours la chronique.

Un jeune journaliste amorçant sa carrière cette semaine pourrait bien entendre son patron lui dire ce que le mien, Michel Blanchard, m’a lancé il y a 35 ans : « Va donc voir ce qui se passe avec le Stade olympique… »

De 1988 à aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé, mais pas toutes.