Violence psychologique. Agressions verbales. Humiliations publiques. Atteintes flagrantes à la dignité humaine.

Ainsi sont décrites les méthodes de l’ancien entraîneur-chef du club Natation Gatineau Brian Kelly, dans un rapport dévastateur produit par l’organisme gouvernemental responsable du traitement des plaintes dans le sport, le Comité de protection de l’intégrité (CPI). Les preuves recueillies par le CPI auprès de 19 athlètes, entraîneurs adjoints et parents, sont accablantes. Tellement que la Fédération de natation du Québec vient de bannir Brian Kelly indéfiniment.

C’est le 104,7 Outaouais qui a diffusé l’histoire en premier, mercredi. J’ai par la suite obtenu un exemplaire du rapport confidentiel, qui est daté du 17 novembre. Il est question d’insultes. De dénigrements. D’humiliations. D’accès de colère. D’abus de pouvoir. De négligence. Souvent, envers de jeunes adolescents. Un exemple : « Pourquoi continues-tu la brasse ? Te regarder me fait souffrir », a-t-il lancé à une jeune nageuse, devant ses coéquipiers.

Trois parents, deux nageurs et un entraîneur – tous nommés dans le document – ont souligné que Brian Kelly n’accordait « aucune crédibilité aux blessures ou malaises des athlètes, même lorsque justifiés par des billets médicaux ». Le rapport cite un entraîneur qui raconte avoir vu un jeune athlète nager avec un pied cassé. « [M. Kelly] se glorifiait et était fier de ce genre de situation. Lorsque des billets médicaux lui étaient présentés, il les qualifiait généralement de fake. »

Plusieurs plaignants ont affirmé avoir été menacés de représailles. « L’intimé utilisait la menace d’expulsion du programme sports-études assez fréquemment », souligne le CPI. Une ex-entraîneuse du club raconte qu’après le dépôt d’une plainte de nageurs contre Brian Kelly, celui-ci lui a confié, ainsi qu’à un autre collègue : « I’m going to fucking destroy them. » Je vais les détruire. Elle-même soutient avoir été ciblée par des menaces. « Je vais te bloquer partout au Canada. Tu ne pourras plus jamais entraîner de nouveau. »

Toujours selon le CPI, Brian Kelly désirait isoler des athlètes du reste de l’équipe, ou même de leurs parents. Il refusait que ses athlètes aillent voir d’autres nageurs pour les réconforter après une contre-performance. Et lorsqu’un de ses propres athlètes n’atteignait pas ses objectifs, il pouvait l’ignorer et l’isoler.

Un certain climat de peur et de manipulation semblait régner dans le club, et les athlètes craignaient souvent les réactions de l’intimé.

Extrait du rapport du Comité de protection de l’intégrité

Après avoir entendu 19 plaignants, quatre témoins supplémentaires, consulté des billets médicaux, des enregistrements d’entraînements et des courriels, les commissaires ont sévèrement dénoncé le comportement de l’ancien entraîneur-chef de Natation Gatineau, qui a pris sa retraite il y a quelques semaines.

« La gravité des gestes commis par l’intimé ne peut être sous-estimée. Les attaques verbales, les menaces et la discrimination délibérée envers certains athlètes ont créé un climat de terreur et d’insécurité. Ces actions ne sont pas seulement des écarts mineurs, mais des atteintes flagrantes à la dignité humaine, en totale contradiction avec les normes éthiques et morales du sport.

« Il est impératif de mettre en exergue les conséquences dévastatrices sur le bien-être mental des athlètes et des entraîneurs adjoints […] Des talents prometteurs ont été entravés, des carrières potentielles ont été compromises, et le potentiel de réussite sportive a été sérieusement compromis. »

Des constats appuyés par cette déclaration d’une ancienne entraîneuse du club. « Les billets médicaux des jeunes se multiplient, l’attrition est visible, il reste 35 nageurs dans le sports-études, ce qui représente une attrition de plus de 50 %. Les classements du club sont en chute libre. »

Le CPI explique être particulièrement troublé par « le caractère répété des comportements abusifs », qui s’étalent de 2016 à 2023. « Les multiples témoignages convergent vers la conclusion incontestable que les actes déplorables de l’entraîneur n’étaient ni isolés ni le fruit de circonstances exceptionnelles. Au contraire, ils étaient malheureusement devenus une constante, façonnant une culture d’abus insidieux. »

Et ça se poursuit, comme ça, pendant une trentaine de paragraphes. Quelques extraits :

· « Le CPI conclut de manière catégorique que [Brian Kelly] a non seulement harcelé psychologiquement, mais également exercé une violence psychologique envers les athlètes et les entraîneurs adjoints. »

· « L’intimé a régulièrement sapé le développement de l’estime de soi des athlètes en utilisant un langage humiliant et dénigrant. »

· « Les éléments de preuve révèlent un schéma répété de comportements abusifs, caractérisé par des agressions verbales, des humiliations publiques, et une série de tactiques intimidantes visant à instaurer un climat de peur. »

Qu’a dit Brian Kelly pour sa défense ?

Rien.

En fait, il a assisté aux premières séances du CPI, pour entendre les plaignants. Sauf qu’il ne s’est jamais présenté à sa propre audition. « À la suite des maintes tentatives du CPI de joindre l’intimé, celui-ci est réputé avoir renoncé à soumettre une défense », concluent les commissaires.

Sans le travail de l’animateur Michel Langevin, du 104,7 Outaouais, cette histoire ne serait probablement jamais sortie.

Pourquoi ?

Parce que les rapports du CPI sont confidentiels. C’est d’ailleurs indiqué en haut à droite de chaque page du document, en lettres majuscules. CONFIDENTIEL. C’est répété en caractères gras, dans la dernière page : « La présente décision est confidentielle, finale et sans appel ». Les parties impliquées – les plaignants, l’intimé, la fédération – sont toutes tenues au secret.

Je vous rassure : ce n’est pas pour cacher la mauvaise herbe sous le pot de fleurs. Au contraire. Le CPI, c’est une très bonne idée. Un des meilleurs coups de la ministre Isabelle Charest. Les plaintes sont désormais gérées par un organisme indépendant, plutôt que par des gens du milieu. Ça réduit les risques de copinage, de conflit d’intérêts et de proximité.

Prenons le cas de Brian Kelly. Des parents, des athlètes et des entraîneurs désiraient déposer des plaintes. La Fédération de natation du Québec les a redirigés vers l’Officier des plaintes, chargé par le gouvernement de recevoir les griefs. L’Officier a ensuite transmis le dossier au CPI, qui lui traite l’affaire, écoute les témoins et formule des recommandations. Tout a été fait dans les règles de l’art. En parallèle, la fédération a lancé une enquête externe, pour améliorer la gouvernance de ses clubs.

Le problème, c’est qu’une fois les travaux du CPI terminés, ni un club ni une fédération ne peut révéler le contenu du rapport. C’est interdit, « pour respecter la confidentialité des données des renseignements personnels », m’a-t-on expliqué. Voilà pourquoi on entend si peu parler du CPI.

Sans fuite dans les médias, tout se passerait dans la confidentialité la plus totale. Ce n’est pas normal.

OK, je comprends le principe pour les plaignants. Personne ne souhaite que les noms d’adolescents victimes de mauvais traitements se retrouvent sur la place publique. Après, il y a des moyens d’éviter cela. En caviardant les renseignements qui permettent d’identifier les plaignants, par exemple.

Je comprends aussi les enjeux liés à de fausses allégations, qui seraient rejetées par le CPI. Ces cas pourraient rester confidentiels.

Mais dans le cas d’un entraîneur sanctionné ? Pire, expulsé à vie ? Ce serait d’intérêt public. La divulgation des conclusions du CPI permettrait aux fédérations des autres sports, ainsi qu’à celles des autres provinces, d’identifier immédiatement les candidats qui ont causé des torts ailleurs – ce qui n’est pas le cas, présentement.

Le gouvernement du Québec souhaite donner plus de mordant au CPI ainsi qu’à l’Officier des plaintes. Ça tombe à point. Une révision de la Loi sur la sécurité dans les sports sera déposée au cours des prochaines semaines. Souhaitons que quelqu’un, quelque part, trouve une solution pour pouvoir mieux diffuser les recommandations du CPI.

Tout le monde y gagnerait.

Sauf ceux qui se conduisent comme Brian Kelly.