Dans les années 1980, mes amis tripaient sur les frappeurs de circuits. Les lanceurs aux motions étranges. Les receveurs qui portaient leur casquette à l’envers. Moi ? J’étais plutôt fasciné par les voleurs de but.

Tim Raines. Vince Coleman. Rickey Henderson. Ça, c’était mon type de joueur. Lorsqu’ils atteignaient le premier but, le jeu changeait. Le lanceur droitier regardait plus souvent par-dessus son épaule. Ou entre ses jambes, si c’était Pascual Perez. Le coureur prenait trois grandes enjambées. Des fois, quatre. Papa, me semble qu’il a une grosse avance, non ? Penses-tu qu’il va partir ? Penses-tu que le tir sera à l’extérieur ?

La vitesse était une arme stratégique puissante. Les Cardinals de St. Louis l’avaient compris. En 1985, ils misaient non pas sur un, ni deux, ni trois, ni quatre, mais bien cinq voleurs de 30 buts et plus. Ça leur a permis d’atteindre la Série mondiale. Quelques années plus tôt, les Athletics d’Oakland avaient même embauché le détenteur du record du monde sur 50 verges, Herb Washington. Ce dernier a disputé 105 parties dans les ligues majeures. Il n’est jamais allé au bâton. Il n’a jamais lancé une balle. Il n’a jamais joué une manche en défense. Il a seulement couru sur les sentiers.

Puis, au détour du nouveau siècle, le vol de but est passé de mode, comme la salopette et les polars fluo.

Les statisticiens ont décrété que si un coureur se faisait retirer plus d’une fois sur quatre en tentative de vol, il devenait nuisible à son équipe. De 2001 à 2003, le nombre de vols a chuté d’environ 20 %. La puissance est devenue le nouveau Graal, et la vitesse, une stratégie ringarde.

Jusqu’à ce printemps.

Nous assistons depuis quelques semaines à la renaissance du but volé. Pourquoi ? Parce que le baseball majeur a introduit deux nouveaux règlements favorisant grandement les coureurs. D’abord, les coussins sont un peu plus gros qu’avant. La distance entre deux buts s’en trouve raccourcie de quatre pouces et demi. Aussi, les lanceurs ne peuvent plus retirer leur pied de la plaque toutes les 15 secondes. Souvenez-vous de la poule mouillée qui pondait un œuf, sur l’écran géant du Stade olympique, chaque fois qu’un lanceur adverse tentait de retirer Otis Nixon au premier but. Cette époque est révolue. Désormais, les lanceurs sont limités à deux « déplaquages » par apparition au bâton. C’est un changement majeur.

Conséquence : ça court maintenant autant sur les sentiers que dans un Walmart à l’ouverture des portes, le 26 décembre. C’est fou, fou, fou ! Au point de faire exploser mon cerveau ? Tout à fait.

  • Au cours du seul mois d’avril, les Pirates de Pittsburgh ont volé 39 buts. C’est plus que les Twins du Minnesota pendant toute la saison 2022.
  • Ronald Acuña, des Braves d’Atlanta, se dirige vers une saison de 76 buts volés. Onze formations complètes n’ont même pas atteint ce total l’année dernière.
  • Le taux de réussite global est actuellement de 79 %. La dernière fois qu’on a vu un taux aussi élevé ? Jamais.
  • Tout joueur de baseball sait que le troisième but est plus difficile à voler que le deuxième but, car il est plus rapproché du receveur. Or, cette saison, les coureurs le volent avec une aisance remarquable. Le taux de réussite ? 90 %. C’est 10 points de pourcentage de mieux que la meilleure saison de l’histoire !

Un phénomène particulièrement intéressant, c’est que les principaux bénéficiaires de ces nouvelles règles sont les équipes les plus pauvres des ligues majeures. Celles qui n’ont pas les moyens de s’offrir des cogneurs à 40 millions par saison. Condamnées à innover pour rivaliser contre les Dodgers, les Mets et les Yankees, ces équipes misent sur la vitesse pour gagner un avantage concurrentiel à très faible coût. Et jusqu’à maintenant, ça fonctionne très bien.

Buts volés et masse salariale

  1. Pirates de Pittsburgh : 44
    (27e masse salariale)
  2. Guardians de Cleveland : 36
    (25e masse salariale)
  3. Athletics d’Oakland : 33
    (30e masse salariale)
  4. Orioles de Baltimore : 30
    (29e masse salariale)
  5. Rays de Tampa Bay : 29
    (28e masse salariale)

À l’opposé, des clubs riches peinent à s’adapter aux nouvelles règles. C’est le cas des Dodgers de Los Angeles, dont les lanceurs peinent à retenir les coureurs sur les sentiers. Les Dodgers, premiers au classement général en 2022, sont premiers cette saison dans une autre catégorie : les buts volés accordés. Ils sont déjà rendus à 41. C’est énorme. À ce rythme, ils menacent de battre le record de médiocrité des 100 dernières années, établi par les Red Sox de Boston en 2001.

« C’est un jeu différent d’il y a un an », a expliqué l’entraîneur-chef des Dodgers, Dave Roberts, aux médias locaux. « Aujourd’hui, je ne connais pas la réponse [pour être meilleurs]. La meilleure réponse, ce serait d’empêcher les coureurs de se rendre au premier but. Mais une fois qu’ils sont là, ils prennent l’avantage sur nous […] Si tu es un releveur et que tu es incapable de gérer la course contre toi sur les sentiers, tu n’es plus une option viable pour rentrer dans la partie avec des coureurs sur les sentiers. Tout le monde doit devenir meilleur. Quelques-uns de nos gars font du bon travail. Mais nous donnons nettement plus de buts volés que les autres équipes. »

Une autre équipe qui en arrache face aux coureurs, ce sont les Mets de New York, qui ont pourtant investi 170 millions cette saison dans leur personnel de lanceurs. Le taux de réussite des coureurs adverses, en date de mercredi, était de 93 %.

À l’autre bout du spectre, les Diamondbacks de l’Arizona ont réalisé un coup de génie, au cours de l’hiver, en refilant leur frappeur de puissance Daulton Varsho aux Blue Jays de Toronto, contre la recrue Gabriel Moreno. Ce receveur de 23 ans possède un bras de lanceur de javelot qui impose le respect. Depuis le début de la saison, Moreno a retiré 70 % des coureurs qui ont tenté de le défier. Lorsqu’il est derrière le marbre, ses adversaires sont moins agressifs sur les sentiers. C’est une des raisons qui peuvent expliquer la présence inattendue des Diamondbacks au deuxième rang de leur division.

Est-ce que cette résurgence des buts volés durera ? Je l’espère, mais j’ai des craintes. Le baseball majeur voudra peut-être rééquilibrer les forces, l’hiver prochain, en faveur des lanceurs, qui ne sont pas tous réjouis par la situation actuelle. Pour reprendre les propos de Blake Snell, des Padres de San Diego, à ESPN : « Si vous retirez votre pied deux fois de la plaque, les coureurs prennent des avances folles. Les buts volés, c’est une blague. En plus, les buts sont plus rapprochés. Le baseball était parfait avant, et ils ont modifié le jeu. »

« Avant, a ajouté Mark Canha, voltigeur des Mets, c’était plus difficile de voler des buts. À mon avis, c’était devenu une partie insignifiante du jeu. Aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus important. Quelqu’un va battre le record de buts volés de Rickey Henderson. »

Et vous savez quoi ? C’est tant mieux.