C’est une lettre de deux pages, à l’intention de François Legault, datée du 8 juillet 2020. L’auteure ? Valérie Plante. Le sujet ? La candidature de Montréal comme ville hôte des matchs de la Coupe du monde de soccer de 2026. Et pourquoi la mairesse prenait-elle la plume ?

Pour défendre le projet – avec passion.

« L’évènement, qui agira comme un attrait hors pair pour la promotion de Montréal et du Québec à l’échelle internationale, permettra de raviver notre industrie touristique », écrivait-elle. « J’ai la certitude que notre candidature sera retenue, en raison de la solidité de son plan d’affaires et de ses nombreux atouts. »

  • Lettre de Valérie Plante à François Legault, à propos de la Coupe du monde de soccer de 2026

    BUREAU DE LA MAIRESSE DE MONTRÉAL

    Lettre de Valérie Plante à François Legault, à propos de la Coupe du monde de soccer de 2026

  • Lettre de Valérie Plante à François Legault, à propos de la Coupe du monde de soccer de 2026

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    Lettre de Valérie Plante à François Legault, à propos de la Coupe du monde de soccer de 2026

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Cette lettre, jusqu’ici inédite, fait partie d’une série de documents obtenus récemment par La Presse, grâce à la Loi sur l’accès à l’information. Qu’a-t-on reçu aussi ? La réponse de François Legault. Une lettre de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx. Plusieurs rapports rédigés par les experts du gouvernement.

Mis ensemble, ces documents nous permettent de mieux comprendre les jeux de coulisses entre Montréal, Québec, Ottawa et la FIFA pour cette candidature née dans l’enthousiasme, défendue par la mairesse, puis tuée par Québec, lorsque les coûts sont passés de 150 millions à 308 millions… avant de tenir compte des frais de rénovation du Stade olympique.

Reculons de cinq ans. En 2018, toute la classe politique était emballée par le projet. Avec raison. Les projections du comité organisateur de la candidature de l’Amérique du Nord pour la Coupe du monde de 2026 étaient spectaculaires. Pour la seule ville de Montréal, il était question de 922 nouveaux emplois, ainsi que de retombées économiques de 210 millions.

Canadiens ?

Non. US.

Le 10 janvier 2018, Valérie Plante écrit au premier ministre québécois de l’époque, Philippe Couillard. Elle estime les coûts du projet à 150 millions. « Cette demande repose sur le scénario le plus coûteux, où Montréal accueillerait six matchs », lit-on dans un rapport interne du gouvernement du Québec.

Le plan préliminaire est simple. Les dépenses seraient divisées en trois parts égales entre Montréal, Québec et Ottawa. Donc 50 millions par gouvernement.

Ça semble être une bonne affaire. Deux mois plus tard, le gouvernement de Philippe Couillard embarque. Il s’engage à assumer le tiers des coûts, tout en précisant que « nous pourrons convenir éventuellement de nos engagements respectifs lorsque la nature des besoins et les prévisions des coûts seront précisées en fonction des exigences de la FIFA ».

À l’été 2018, la présentation de la Coupe du monde de 2026 en Amérique du Nord est confirmée. Dans son évaluation finale, la Fédération internationale de football se montre emballée par Montréal. Elle la cite parmi les plus grandes villes de la candidature nord-américaine, aux côtés de New York, Los Angeles, Mexico, Toronto, Houston et Philadelphie. Montréal se distingue aussi dans plusieurs catégories.

  • La qualité de ses transports : 4,4/5 (moyenne de 3,6)
  • La qualité du stade : 4,2/5 (moyenne de 4,1)
  • La qualité de l’hébergement : 3,9/5 (moyenne de 3,9)

Montréal reçoit la plus haute note (4,1) pour le transport et l’hébergement proposés pour les membres de la FIFA. La seule catégorie dans laquelle la métropole se trouve sous la moyenne, c’est celle des installations destinées aux festivités pour les partisans. Rien d’inquiétant. Dans le même document, la FIFA vante le Quartier des spectacles, qualifié d’effervescent (buzzing).

Il y a toutefois un drapeau rouge. Le rapport évoque des rénovations nécessaires pour deux stades. Ceux de Montréal et de Cincinnati. « Des investissements de 335,5 millions US pour les deux stades » seront requis, précise la FIFA.

Ce n’était pas inattendu. Dès janvier, la mairesse avait demandé à Philippe Couillard « l’engagement du gouvernement à examiner une solution démontable pour le toit du Stade olympique ». Une solution démontable ? Oui, oui.

« L’option de démonter une ou des sections du toit pour accueillir des évènements comme la FIFA, nécessitant un stade à ciel ouvert, sera analysée par la Régie des installations olympiques », lui répond le ministre des Affaires municipales. Dans tous les cas, les frais reliés au toit, à la mise aux normes du stade et à l’installation d’une surface de gazon naturel étaient « exclus » de la contribution de 50 millions demandée à Québec, précisent les documents du gouvernement.

À l’automne, le gouvernement change. Le dossier, lui, continue de progresser. En octobre 2019, la RIO lance un appel de qualification pour la conception et la construction de la nouvelle toiture. Le 12 mars 2020, une délégation de Montréal est invitée à Toronto pour rencontrer la FIFA et Canada Soccer, afin de prendre connaissance de nouveaux critères qui modifieront l’évaluation des coûts. Mais à ce moment précis, les élus n’ont pas la tête au soccer.

Le même jour, François Legault annonce les premières mesures de confinement pour combattre la COVID-19. La pandémie viendra modifier les plans.

Pendant les premières semaines du confinement, les fonctionnaires à Montréal et à Québec retournent à leurs fichiers Excel, pour réviser le plan d’affaires en fonction des exigences de la FIFA.

Mauvaise nouvelle : les coûts ont explosé.

Et pas juste un peu.

Le 8 juillet 2020, Valérie Plante présente à François Legault une nouvelle analyse des coûts, réalisée par les fonctionnaires de la Ville. La facture passe de 150 millions à 308 millions. Pour combien de parties ? Ce n’est pas indiqué dans la lettre, mais une source ayant travaillé activement sur le dossier m’a confirmé que c’était pour un maximum de trois parties.

Donc deux fois plus cher – pour deux fois moins de parties.

Dans sa lettre, Valérie Plante propose un nouveau partage des dépenses. Un premier bloc de 195 millions serait divisé en parts égales entre Montréal, Québec et Ottawa. Le reste ? « [Les] autres dépenses, qui doivent être estimées par les gouvernements québécois et canadien, seront assumées en fonction de leurs compétences », précise la mairesse. La part de Québec passe soudainement à 103,4 millions. Attendez. Ça, c’est le montant AVANT de tenir compte « notamment du toit, de la bonification de l’expérience client du Stade olympique, ainsi que [des] coûts associés à la portion de la sécurité qui serait assumée par la Sûreté du Québec », indique un document du gouvernement.

François Legault répond à Valérie Plante le 6 août 2020.

« Sachez que je suis conscient de toute l’importance qu’être nommée ville hôte de la Coupe du monde pourrait avoir pour Montréal, et que je suis ce dossier avec toute l’attention nécessaire », écrit-il, sans prendre position.

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

La réponse de François Legault à Valérie Plante

Québec procède alors à ses propres analyses. Au total, 15 ministères sont impliqués. C’est la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, qui assure le suivi avec Valérie Plante. Dans une lettre datée erronément du 15 janvier 2020, elle écrit : « Bien qu’il ait été reconnu que la venue de cet évènement d’envergure ferait rayonner la destination sur la scène internationale, l’avènement de la COVID-19 et ses conséquences multisectorielles rendent la conjoncture exceptionnellement délicate et exercent une forte pression sur les finances publiques. »

« Afin de retrouver l’équilibre budgétaire et de résorber l’important déficit structurel, il est de notre devoir de soutenir prioritairement les entreprises les plus touchées par la crise, et donner préséance aux évènements qui constituent la trame événementielle de la métropole et du Québec. »

  • Lettre de la ministre Caroline Proulx à la mairesse Valérie Plante

    GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

    Lettre de la ministre Caroline Proulx à la mairesse Valérie Plante

  • Lettre de la ministre Caroline Proulx à la mairesse Valérie Plante

    GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

    Lettre de la ministre Caroline Proulx à la mairesse Valérie Plante

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Souvenez-vous que la FIFA exigeait un « vacuum événementiel » autour de la Coupe du monde, en pleine saison des festivals.

La ministre ajoute que Québec craint une autre explosion des « nombreux coûts inconnus, associés au dossier de candidature d’ici le dépôt d’un cahier de charges final en 2023 ». En coulisses, les décideurs à Québec sont convaincus que le gouvernement devra signer un chèque en blanc à la FIFA. Devant ce constat, Caroline Proulx porte le coup fatal. « Je me vois malheureusement dans l’obligation de vous informer que le gouvernement du Québec ne pourra s’engager à soutenir la candidature de Montréal ».

Quelques semaines plus tard, Montréal retirait ses billes à son tour.

Le projet était abandonné.

J’adooooore le soccer. J’aurais aimé que Montréal accueille des parties. Même une affiche Honduras-Lettonie m’aurait satisfait. Mais j’apprécie aussi que le gouvernement investisse mes impôts de façon responsable.

Les deux objectifs auraient été conciliables, n’eût été la gourmandise sans fin de la FIFA. Malheureusement, à 100 millions par partie, ce projet n’était plus un investissement.

Ni même un luxe.

C’était devenu indécent.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse