Durant ma carrière dans les médias, je n’ai jamais entendu autant de sornettes qu’à propos des bagarres au hockey.

Durant des années, un grand nombre de fans et d’analystes ont soutenu que leur interdiction dénaturerait notre sport national : le nombre de coups vicieux exploserait, ce serait le festival du dardage, les cotes d’écoute et les assistances chuteraient.

L’argument le plus insipide était celui-ci : « Non, mais as-tu vu comment les gens se lèvent d’un seul bond quand un combat s’engage sur la patinoire ? C’est signe qu’ils aiment ça ! »

Bien sûr, comme tout le monde, je me suis levé pour regarder un combat. Ça ne veut pas dire qu’ils sont tolérables et utiles.

Au fil du temps, des voix se sont élevées pour mettre fin à ces échanges de coups de poing, où l’objectif est de frapper son adversaire à la tête, au risque de provoquer une commotion cérébrale. Serge Savard a donné le ton en fondant la Ligue collégiale AAA à la fin des années 1970 parce que le hockey junior québécois était trop violent. Plus tard, Ken Dryden a multiplié les interventions pour dénoncer les combats.

Savard et Dryden, comme d’autres courageux, ont refusé de se taire. Leurs interventions publiques ont lancé un débat de fond à ce propos.

Au fil du temps, les bagarres générales ont disparu. En 1984, le triste match du Vendredi saint entre le Canadien et les Nordiques a provoqué un sentiment de honte généralisé. Si c’était ça « notre » hockey, méritait-il vraiment d’être sauvé ?

Le rôle de « redresseur de torts » a aussi perdu de son importance. En 2011, la mort de trois anciens durs à cuire dans des circonstances terribles n’a pas été étrangère à ce phénomène.

Les bagarres individuelles sont néanmoins demeurées partie intégrante des matchs.

En octobre 2013, un évènement clé s’est produit. Lors du match d’ouverture du Canadien, le nouvel homme fort de l’équipe, George Parros, a été mis K.-O. en chutant durant un combat contre le rude Colton Orr, des Maple Leafs de Toronto. Cela a créé une fissure dans la LNH, des organisations avant-gardistes plaidant pour la fin des bagarres (non, le Canadien n’en faisait pas partie).

Le commissaire de la LNH, Gary Bettman, s’est rangé dans le camp des dinosaures affirmant que les bagarres servaient de « thermostat » pendant un match, en entraînant une baisse de température quand l’ambiance sur la glace était trop chaude.

À cette époque, j’ai écrit une chronique intitulée « La fin des bagarres viendra un jour », me demandant simplement si cela prendrait trois, cinq ou dix ans.

J’étais trop optimiste puisque les combats, bien que moins nombreux, sont toujours acceptés dans la LNH.

Les fans du Canadien le savent très bien parce que c’est à la suite d’une bagarre que la saison du prometteur défenseur Arber Xhekaj a récemment pris fin. C’est aussi à la suite d’un combat que Paul Byron, longtemps un des préférés du public, n’est plus le même joueur. Voilà des effets concrets des combats dans le hockey professionnel.

Heureusement, les choses avancent même si le rythme est lent. Lundi, Le Journal de Québec a révélé que les bagarres seraient enfin interdites la saison prochaine dans la LHJMQ (un vote final sera tenu au printemps).

Que cette ligue ait toléré si longtemps que des adolescents et de jeunes hommes se tapent sur la gueule durant un match, alors que les conséquences à long terme des coups à la tête sont connues, est scandaleux.

Oui, le nombre de combats a beaucoup diminué dans le hockey junior. Mais chaque bagarre en est une de trop.

Si la LHJMQ a finalement plié – car c’est d’une reddition qu’il s’agit et non pas d’une initiative vigoureuse de ses dirigeants –, c’est notamment en raison de l’intervention d’Isabelle Charest en septembre 2020.

La ministre responsable du Sport a alors lié une aide économique à la LHJMQ en temps de pandémie à des gestes concrets pour décourager les bagarres. Les dirigeants ont d’abord refusé avant de changer leur fusil d’épaule face à cette pression politique.

Cela démontre l’importance d’un encadrement gouvernemental de la LHJMQ.

Si la fin des bagarres se concrétise, Mario Cecchini fera l’économie d’un dossier épineux.

Bien sûr, le nouveau commissaire devra s’assurer qu’elles disparaissent bel et bien. Et qu’il soit rassuré : les gradins ne se videront pas pour autant et les coups vicieux ne grimperont pas en flèche ! Espérons que la LNH le réalise et prenne un jour une décision semblable. (Cela me semble inévitable, reste à savoir dans combien d’années.)

Cecchini devra aussi donner du mordant à un engagement de Gilles Courteau en commission parlementaire le mois dernier. Reconnaissant qu’il existe au hockey « une culture qui peut être nocive », l’ex-commissaire a promis d’instaurer un « code du vestiaire » afin d’interdire les comportements préjudiciables.

Qu’aurait contenu ce « code du vestiaire » version Courteau ? Peu importe, Cecchini devra transformer cette excellente idée en politique musclée. Les joueurs ne doivent pas être les seuls à devoir répondre de leurs actes. Les directions d’équipe – propriétaire, président, directeur général, entraîneur-chef et entraîneurs adjoints – devront aussi y être tenues. Après tout, ils sont les responsables de l’encadrement.

Souhaitons que des spécialistes externes à la LHJMQ participent à l’élaboration de ce code. Les gens de Sport’Aide ont été mentionnés et c’est une excellente nouvelle.

Dans le contexte où des épisodes choquants entachent plusieurs disciplines dans le sport canadien, l’adoption d’un tel « code » devrait générer un consensus. Comme l’a dit Courteau en commission parlementaire, la LHJMQ a aussi avantage à tenir une « réflexion ». Ce sera à Cecchini de mener l’exercice à terme.