Le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a créé la commotion dimanche lorsqu’il a changé son fusil d’épaule et remis sa démission à la suite d’un témoignage contesté la semaine dernière en lien avec les cas d’initiations violentes dans le hockey junior. Si certains parlementaires souhaitent pouvoir l’interroger une seconde fois, tous ne s’entendent pas sur la pertinence de le convoquer à nouveau.

Dans une lettre publiée sur ses réseaux sociaux, M. Courteau indique que sa démission est « effective immédiatement ». C’est le commissaire adjoint, Martin Lavallée, qui agira par intérim jusqu’à ce que le successeur soit annoncé. L’actuel président par intérim des Alouettes, Mario Cecchini, prendra le relais, a pu confirmer La Presse en soirée.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mario Cecchini, successeur de Gilles Courteau à la tête de la LHJMQ

Cette décision de M. Courteau survient dans la foulée des histoires d’initiations violentes au sein des trois ligues de hockey junior canadiennes.

« Malgré que ce ne soit pas une décision facile à prendre, elle s’impose, écrit l’homme de 65 ans. De surcroît, les évènements récents ont pris une ampleur telle que les membres de ma famille étaient éprouvés. Persister aurait été de l’entêtement.

« Je voudrais que mon retrait soit compris par tous les acteurs concernés, parents, joueurs, entraîneurs, propriétaires, amateurs, comme l’amorce d’un virage, d’un autre virage. Car nous en avons fait du chemin en 37 ans. De cela, je suis fier. »

« J’ai agi, tout au long de ces années, en bon père de famille, pour aider les joueurs à vivre pleinement leur passion d’athlète et les préparer à une vie citoyenne épanouissante, continue-t-il. Mon parcours n’a pas été sans fautes, mais il a été guidé par la volonté de donner le meilleur de moi-même aux jeunes.

« L’amour du hockey naît à la maison, grandit avec les entraîneurs, s’enflamme avec les cris des spectateurs. L’équipe devient le centre. C’est fort. C’est beau. Mais il y a encore des risques de pratiques nocives. Faisons en sorte qu’il n’y en ait plus, ni dans le hockey ni dans les autres sports de compétition. Posons les gestes nécessaires pour le bien de nos jeunes et la beauté du sport. »

Des réactions à Québec

Au cours des dernières semaines, le commissaire a nié en commission parlementaire qu’un cas d’initiation violente ait pu se produire au sein de son circuit. Or, selon la demande d’action collective déposée en Ontario, le joueur Stephen Quirk allègue avoir été victime d’abus sexuels entre 1995 et 1998.

Confronté par La Presse, M. Courteau a ensuite avoué son erreur.

Peu après son témoignage, La Presse a aussi révélé que M. Courteau avait pourtant admis sous serment en 2021 avoir constaté des « problèmes » liés au bizutage dans la LHJMQ.

La semaine dernière, la ministre responsable du Sport, Isabelle Charest, a demandé à ce que M. Courteau soit rappelé devant les parlementaires, une position appuyée par le premier ministre, François Legault, qui souhaitait entendre de nouveau la version du commissaire. Ce dernier avait alors affirmé n’avoir « aucun problème » à y revenir pour s’expliquer une fois de plus. Il avait balayé les appels à démissionner lancés notamment par l’ex-hockeyeur et député libéral Enrico Ciccone et le député solidaire Vincent Marissal.

« Au moment où on se parle, on fait un excellent travail, tout en constatant qu’on a encore du travail à faire pour s’assurer d’être la meilleure ligue junior au monde, avec le meilleur programme d’encadrement qui existe, et ça, j’y ai contribué et je vais continuer d’y contribuer jusqu’au 31 mai 2024, je vous en passe un papier », avait-il plaidé.

Dimanche, la ministre Isabelle Charest a fait savoir qu’elle prenait acte de la démission du commissaire de la LHJMQ.

« Nous entendons travailler en étroite collaboration avec son successeur pour nous assurer que le développement de nos jeunes se fasse dans un contexte sain et sécuritaire », a-t-elle indiqué dans une déclaration transmise par son cabinet.

Elle estime « toujours tout à fait pertinent » de réentendre Gilles Courteau en commission parlementaire « vu les récentes révélations parues dans les médias ». Elle s’en remet toutefois aux membres de la commission pour décider de la suite des choses.

« Encore des questions pour lui »

Ceux-ci ne sont toutefois pas sur la même longueur d’onde en ce qui a trait à la nécessité de convoquer de nouveau le commissaire démissionnaire.

La commission « n’est pas un tribunal », a indiqué le porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de sports, Enrico Ciccone. Ce dernier insiste plutôt pour entendre d’autres organisations sportives en lien avec le phénomène des initiations violentes dont certains cas ont été rapportés dans les médias, et ce, afin de mieux cerner le phénomène, pas seulement dans le monde du hockey junior.

Quant à la démission de Gilles Courteau, Enrico Ciccone estime que « c’était la chose à faire ». « Il fallait qu’on tourne la page rapidement parce que ce n’est pas seulement M. Courteau, mais toute la LHJMQ qui en prenait une solide claque », a-t-il ajouté, en soulignant « qu’il n’a pas fait que du mal durant sa carrière ».

Il était devenu très clair après son passage en commission parlementaire que Gilles Courteau n’avait plus la légitimité ni la marge de manœuvre pour rester en poste. Je salue sa décision de passer le flambeau immédiatement.

Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de sports

Le député solidaire Vincent Marissal insiste pour poursuivre les travaux de la commission parlementaire afin de « trouver les solutions pour protéger l’intégrité des jeunes qui pratiquent des sports au Québec ».

« Nous souhaitons tout de même [que Gilles Courteau] soit présent en commission parlementaire. Nous avons encore des questions pour lui », a fait savoir de son côté le porte-parole du Parti québécois en matière de sports, Pascal Bérubé.

Un homme « dédié » pour sa ligue

La nouvelle a secoué le monde du hockey québécois, dimanche soir. Joint au téléphone par La Presse, le directeur général des Cataractes de Shawinigan depuis 16 ans, Martin Mondou, s’est dit « triste » de voir M. Courteau quitter la LHJMQ « dans un contexte comme ça ».

« Quand il se raconte de la fiction sur notre ligue, ça devient tannant. Gilles avait déjà annoncé ses plans de retraite. Je pense qu’il a redonné énormément à la Ligue. Ayant passé les 16 dernières années à la Ligue, je suis capable de voir combien elle a grandi, combien elle a maturé.

« Les gens qui vont écrire qu’il était temps, pour moi, c’est blessant. Il a donné beaucoup. […] S’il y en a un qui voulait que sa ligue prenne un step par en avant, c’est bien lui. »

Philippe Boucher, qui a passé 11 ans comme directeur général dans la LHJMQ entre 2011 et 2023, dit quant à lui « respecter et comprendre » la décision de M. Courteau. « Je l’ai connu en tant que joueur et en tant que dirigeant. Je lui souhaite une bonne retraite. Je vais me souvenir de lui comme un homme dédié pour sa ligue. Il a fait de grandes choses. »

Hockey Québec a pour sa part indiqué qu’elle ne commenterait pas la décision de M. Courteau.

Avec Alexandre Pratt, La Presse

Dates marquantes du scandale des initiations

3 février

Un juge de la Cour supérieure de l’Ontario rejette une demande d’action collective déposée par trois plaignants au nom des 15 000 joueurs ayant évolué depuis 50 ans dans l’une des équipes de la Ligue junior de l’Ouest (WHL), de la Ligue junior de l’Ontario (OHL) ou de la LHJMQ. On y décrit entre autres des actes liés à des joueurs d’âge mineur qui font état de bâtons insérés dans l’anus, de mutilation génitale et de victimes humiliées en étant aspergées d’urine ou d’excréments.

13 février

La nouvelle, jusqu’alors passée sous le radar médiatique québécois, est d’abord rapportée par Radio-Canada. Dans un communiqué, la Ligue canadienne de hockey (LCH), instance unissant les trois ligues de hockey junior du pays, dont la LHJMQ, salue la décision de la cour de rejeter la demande d’action collective. Cela étant, la Ligue assure prendre « au sérieux » les gestes décrits. Personne « ne devrait agir avec impunité », écrit-on.

14 février

Qualifiant les faits rapportés de « dégueulasses », le premier ministre du Québec, François Legault, presse les responsables de la LHJMQ de s’expliquer, eux qui ont refusé les demandes d’entrevue dans un premier temps. Finalement, Gilles Courteau déclare à La Presse qu’il n’a pas immédiatement réagi « puisque c’est toujours la Ligue canadienne de hockey (LCH) qui a parlé dans le dossier des initiations ». S’il juge la situation « inacceptable, même dégoûtante », il assure ne jamais s’être fait rapporter de tels gestes dans la LHJMQ.

15 février

Insatisfait des réponses fournies par les dirigeants de la LHJMQ, le gouvernement Legault accepte la demande de l’opposition de les convoquer en commission parlementaire. « On a besoin de plus d’explications », tranche alors le premier ministre François Legault.

22 février

Devant des députés réunis en commission parlementaire à l’Assemblée nationale, Gilles Courteau affirme que ses équipes n’ont pas été impliquées dans les allégations d’initiations violentes qui ont été rapportées dans un récent jugement. « Aucune des situations énumérées […] n’impliquait une équipe de la LHJMQ. C’est un fait important à noter », dit-il.

28 février

La Presse révèle que Gilles Courteau a déjà reconnu dans un témoignage sous serment, en 2021, avoir constaté depuis 45 ans des « problèmes » liés au bizutage dans son organisation. Une version qui diffère du témoignage qu’il a livré une semaine plus tôt en commission parlementaire à Québec.

2 mars

Malgré la pression qui s’accentue, Gilles Courteau se dit « fier » de son organisation et balaie les appels à démissionner. Le commissaire de la LHJMQ n’a « aucun problème » à revenir s’expliquer devant les parlementaires, comme le réclame maintenant la ministre responsable des Sports, Isabelle Charest.

5 mars

Gilles Courteau annonce finalement qu’il démissionne. Dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux, il révèle que « les évènements récents ont pris une ampleur telle que les membres de [sa] famille étaient éprouvés ». « Persister aurait été de l’entêtement », écrit-il.

Un règne de près de 40 ans

Originaire de Trois-Rivières, M. Courteau a été nommé directeur administratif de la LHJMQ en 1985. Il a par la suite pris la relève de Guy Morissette, qui a démissionné de son poste de président du circuit au milieu de la saison 1985-1986. Sous la gouverne de M. Courteau, la LHJMQ a mené à bien bon nombre d’expansions pour faire passer le nombre d’équipes de 10 à 18. À l’extérieur de la patinoire, M. Courteau a mis en place de nombreux programmes pour les joueurs et il s’est assuré que la LHJMQ puisse les encadrer pendant leur stage junior afin qu’ils deviennent des professionnels et de bons citoyens. « Beaucoup de choses ont changé dans l’encadrement des joueurs, dans l’accompagnement aux études, dans les règlements, dans les valeurs, dans la formation des entraîneurs et du personnel. La Ligue que je quitte aujourd’hui est très différente de celle que j’ai découverte à mon arrivée, dans les années 80 », a-t-il rappelé dans sa lettre annonçant sa démission, dimanche.

La Presse Canadienne

Qui est Mario Cecchini ?

Dirigeant de stations de radio, Mario Cecchini met sur pied CKAC Sports au tournant des années 2000, alors qu’il occupe le poste de vice-président exécutif chez Corus, où il travaille de 2006 à 2011, puis de 2013 à 2016. C’est dans ce rôle qu’il participe à la relance de la station 98,5 FM, toujours l’une des plus écoutées au Canada. Bien connu dans le monde des affaires, il est nommé président des Alouettes de Montréal en 2020, poste qu’il occupe durant trois ans, au plus fort de la pandémie. Le 22 décembre 2022, Cecchini confirme que son contrat de président ne sera pas renouvelé. Cette annonce, qui en fait sourciller plus d’un dans l’écosystème sportif québécois, est toutefois de courte durée puisqu’il reprend son rôle à peine deux mois plus tard, lorsque la Ligue canadienne de football (LCF) annonce que l’équipe est mise sous tutelle alors que s’entame un nouveau processus de vente. La semaine dernière, le quotidien Montreal Gazette révélait que le conglomérat montréalais Québecor était en position favorable pour faire l’acquisition du club.

Vincent Larin, La Presse